Vous allez (forcément) vous endormir

Vous allez (forcément) vous endormir

Tom (Partie 2)

On dit souvent que la vie est jonchée d'événements fondateurs et qu'une personne se construit uniquement à l'aide de ses expériences passées. Si l'école et les études ont une importance capitale pour se façonner, que ce soit au niveau de la culture ou de la gestion des premières relations sociales, il n'y a pas un seul et unique chemin à emprunter pour être épanoui en société. Quelques décisions, de petites réussites ou encore de grandes désillusions guident les êtres humains tout au long de leur existence. Lorsqu'on est plus jeune, on ne se rend pas toujours compte de l'importance de certains faits ou de certaines rencontres. Les enfants, du plus jeune âge jusqu'à l'adolescence, se laissent plus ou moins guider sans réfléchir et ne parviennent pas toujours à suivre une seule ligne de conduite. C'est véritablement lorsqu'ils approchent de leur majorité qu'ils prennent conscience que tout ce qu'ils entreprennent peut avoir un impact sur la suite de leur vie. Mais les enfants précoces ont bien souvent cette réflexion plus tôt. Quand Tom avait décidé de s'éloigner de ses camarades, qui ne l'intéressaient pas du tout, il avait conscience de l'impact de cette décision. Il avait selon lui déjà vécu trop de déceptions pour changer d'avis. Persuadé qu'il serait capable de se tenir à cette idéologie, il évitait de trop parler avec ses voisins en classe. Le week-end ou pendant les vacances scolaires, il vaquait seul à ses occupations, qu'il s'agisse de sport ou de jeux en tout genre. Refusant catégoriquement d'intégrer des centres aérés ou des colonies de vacances, il repoussait volontairement toutes les mains tendues afin d'éviter au maximum des contacts qu'il n'appréciait pas. Ses camarades étaient gentils, allaient vers lui mais rien n'y faisait, il trouvait son compte dans cet isolement relatif - il était très bien entouré par sa famille, que ce soit ses parents ou encore ses cousins, plus âgés que lui - et ne se forçait pas à être quelqu'un d'autre. Seulement, il apprit rapidement qu'on ne pouvait pas toujours tout contrôler. Une vérité qui concernait aussi bien les autres que ses propres sentiments. C'est notamment pour cela qu'il ne put s'empêcher de se rapprocher de Fabien quelques jours seulement après son arrivée dans sa classe.

 

Intégrer un nouveau collège en cours d'année n'est jamais chose aisée pour un élève de 13 ans. La plupart du temps, ce bouleversement de quotidien est dû à un changement dans la vie d'un des deux parents. Le principal du collège Saint-Exupéry avait l'habitude de voir débarquer des adolescents dont la mère ou le père venait d'être muté sur Lyon. En règle générale, ces petits nouveaux étaient complètement perdus et nécessitaient un suivi particulier pour assurer leur intégration au sein de leur nouvelle structure. Ils étaient frustrés, énervés ou tristes d'avoir dû quitter leurs amis et leurs habitudes en déménageant, souvent à des centaines de kilomètres de leur précédent lieu de villégiature. Il était de plus en plus fréquent de voir par exemple débarquer des Parisiens ne supportant plus leur rythme de vie dans la capitale. Mais si les adultes prennent cette décision et se font assez rapidement à leur nouvelle vie, il en est rarement de même pour leurs enfants. Seulement Fabien était un cas à part, que n'avait jamais eu à gérer le principal par le passé. Il ne venait pas d'une autre grande ville et n'avait pas dû suivre de gré ou de force ses parents. Il aurait d'ailleurs sûrement préféré cette situation mais cela faisait maintenant plusieurs années qu'il passait d'une famille d'accueil à une autre, quand il n'était pas réintégré dans un foyer. Considéré comme un enfant à problèmes, il avait déjà été renvoyé de deux établissements au cours de sa scolarité. Installé dans la région Auvergne-Rhône-Alpes depuis presque un an, il venait d'être exclu du collège Georges Clémenceau après avoir frappé un professeur qui tentait de s'interposer entre un autre élève et lui. Il avait présenté ses excuses et tenté vainement d'expliquer qu'il s'agissait d'un accident. Mais sa réputation le précédait et l'Académie de Lyon avait décidé de lui faire intégrer un nouvel établissement, dont les résultats étaient bons et les méthodes pédagogiques reconnues de tous. L'objectif annoncé était de le sauver d'un échec scolaire de plus en plus évident pour les personnes qui le suivaient au quotidien. En plus de rencontrer une nouvelle famille, Fabien devait donc s'adapter à un nouveau collège et faire ses preuves rapidement. Il n'avait plus vraiment le droit à l'erreur et ses professeurs avaient pour seule et unique consigne de surveiller ses moindres faits et gestes. Mais il ne devait pas non plus se sentir en prison car l'objectif était bien la réussite de ce projet de réinsertion. D'ailleurs, ils étaient encore nombreux à croire en lui car ceux qui le croisaient savaient qu'il avait quelque chose de spécial. Une intelligence et un esprit vif qu'il n'arrivait pas encore à employer à l'école. Surtout, à l'image de Tom, il n'était pas du genre à faire des efforts et se sentait prêt à sortir du système. Mais il savait aussi que ce n'était pas une bonne solution pour s'installer durablement et s'épanouir dans une nouvelle ville.

 

Si le corps enseignant gardait toujours un œil sur lui, ses camarades n'avaient aucun mal à le considérer comme un enfant comme les autres. On dit bien souvent que c'est sur les bancs de l'école qu'on apprend à ne pas juger les autres. Ainsi, si certains se méfiaient ou se moquaient pour se distinguer, la majorité des élèves allaient vers lui sans aucun a priori. Ils étaient nombreux à vouloir passer du temps avec lui mais Fabien était d'un naturel méfiant et avait développé - de manière tout à fait compréhensible - une certaine phobie de l'abandon. Pour ne pas être déçu et surtout ne pas perdre quelque chose qu'il aurait gagné, il préférait ne pas s'attacher et rester régulièrement seul.  S'il n'avait bien souvent qu'un an de plus, suite à un fâcheux redoublement par le passé, il avait un vécu bien plus important et marquant que les autres. Il se sentait plus mature et surtout, ses préoccupations n'étaient pas les mêmes. Au cours des trois dernières années, il avait perdu cette innocence qui fait que les enfants ne s'embarrassent jamais l'esprit avec des problématiques dites d'adultes. Lui avait été plongé dans le monde réel dès sa plus tendre enfance et il était rare de trouver un jeune du même âge capable de comprendre les nombreux obstacles auxquels il devait constamment faire face. D'ailleurs, rien ne laissait présager que Tom serait cette personne. Silencieux, bon élève, il ne voulait pas faire de vagues et ne semblait pas le mieux placé pour s'enticher d'un ami de la sorte. Mais les deux jeunes avaient de nombreux points communs, dont celui de ne pas se fier à une réputation ou à une attitude en public. En s'asseyant à côté de lui en cours d'anglais, Fabien n'imaginait pas faire une rencontre aussi enrichissante. Une complicité qui allait enfin lui permettre de se retrouver du bon côté de la barrière tout en étant également très utile.

avec

Inscrivez-vous
à la newsletter !

Nous utilisons des cookies à des fins de mesure d'audience pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à utiliser ce dernier, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.