Vous ne devinerez jamais

Vous ne devinerez jamais

Devinette n°1

Elle a un pouvoir que le monde entier lui jalouse : celui de plonger les erreurs dans l’oubli, et d’accepter les nouvelles. Porte-parole de la deuxième chance, elle fait table rase des méprises pour mieux ouvrir la voie aux nouveaux essais, qu’elle n’impose pas immédiatement de transformer. Ici se joue sa plus grande vertu : elle est de celles qui pardonnent indéfiniment, jusqu’à ce que le brouillon ne puisse plus retrouver sa couleur d’antan. Si elle continue de combler les rayons des grandes surfaces dès le mois de septembre, certains la regardent avec nostalgie. Celle des marelles et des troncs d’arbre transformés en poteaux, celle des billes, des bons points et des petits mots. Qu’elle était belle, l’époque où l’on pouvait recommencer, mettre nos fautes sur le dos de l’enfance, de l’insouciance et de l’immaturité. A l’âge adulte, elle continue tout de même d’accompagner ceux dont la technologie n'a pas envahi les bureaux. Ceux-là la maltraitent sans vergogne, sans regret. Mais malgré la douleur, on ne l'entend ni crier, ni pleurer. A chaque mouvement pourtant, c'est une partie d'elle qui s'envole, virevolte et forme des pointillés sur la table ou au sol. Souvent, lassée, la main de l’homme décide de la jeter ou de l’abandonner avant de l’avoir totalement usée. Elle finit alors dans un cylindre en cuir ou en tissu, ou perdue dans une boîte au fond d’une chambre ou d’un placard exigu.

Sa cousine, elle, finit directement à la poubelle après avoir vécu bien des peines. Celles que l’homme lui impose pour ne pas perdre bonne haleine. En long, en rond ou en dragée, fruitée ou mentholée, elle vole la vedette aux friandises des enfants pour mieux conclure le repas des adultes. Les marmots l’aiment aussi, ne vous méprenez pas, même si le parent leur interdit lorsque leur âge est trop bas. Et puis un jour, maman leur donne une pièce. Leur dit « allez-y, activez la tirette ». Les yeux grands ouverts et le sourire en dents de lait, ils profitent des joies de cette petite boule à mastiquer. C’est qu’elle a du succès, notre chique. De la France à la Chine, tout le monde la connaît. Mais c’est souvent aux Etats-Unis et à Hollywood qu’elle est associée. A la télévision, sur Internet, dans les journaux, le quartier de L.A. l’accompagne dans toutes les pubs. Quand ce n’est pas la liberté version anglaise qui la vend sur le marché. Souvent devant les caisses de toutes vos supérettes, elle se tient là, en groupe, pour vous faire craquer. A côté des caramels, des bonbons suisses et autres tic-tac, tic-tac, tic-tac… Elle fait de l’œil aux consommateurs et force l’achat compulsif. Un achat bon pour les dents, mauvais pour les mâchoires, appelées à travailler jusqu’à ce que les saveurs s’envolent. Elle finira alors dans un papier qui traîne dans la poche ou directement dans le bac vert, sauf chez les moins précautionneux qui la jetteront par terre. Un drame pour la planète, un drame pour les trottoirs, elle est à l’environnement ce que la mort est aux vivants. Une catastrophe, une peur, une tragédie, qui dans quelques années fera parler les convaincus : « vous voyez, je vous l’avais dit ». Ou quand la blancheur de l’émail prend le pas sur la couche d’ozone.

Si sa version chimique fait des dégâts, à l’état naturel elle fait bien des miracles. Celle-là sort du corps des arbres, qui, amassés dans leurs forêts, transpirent une sève qu’il fait bon récupérer. A ce petit jeu l’hévéa est roi : sans lui – quel dommage ! – le caoutchouc n’existerait pas. Ainsi transformée pour le bien de l’humanité qui bricole, celle que nous cherchons fixe, colmate et colle. Dans la maison les chaises, le toit, les joints ou les fenêtres, et dans le garage tout ce qui mérite de l’être. Sur la voiture qui s’y cache pour échapper au froid, elle tient une grande place, voire même une place de choix. En effet, quand elle n’est pas dans la boîte à outil, elle travaille quotidiennement pour les amateurs de circuits. Sans elle pas de dérapage, pas de virage et pas de mouvement ; immobiles tous les bolides le seraient sûrement. Elle entoure leurs jantes d’une couche noire solide mais frileuse, lorsqu’il s’agit de rouler sur des chemins, des routes épineuses. Une pointe trop aiguisée et paf ! La voilà qui explose, dérape et fonce dans le décor. Accompagnée de la carcasse de l’auto qu’elle a fait dévier de bord. Du pneu à celle qu’on cherche il n’y a qu’un nom : deux consonnes et trois voyelles, des synonymes et des surnoms. Lorsqu’une voiture de course va vite on dit qu’elle la met. Cherchez, trouvez, l’expression consacrée. Si elle ne vient pas, insistez, soyez courageux, on a encore quelques indices pour vous aider un peu.

Revenons-en au début, si vous le voulez bien. Lorsqu'on parlait d'erreurs, d'enfance et de souvenirs bambins. Ce qu'on a oublié de dire, c'est qu'elle cache une légende, un mythe. Celle de ses deux couleurs originelles, dont l'une peine à venir à bout du graphite. Bleu et rose sont ses teintes cultes : le rose pour le carbone, le bleu pour… Personne ne sait pourquoi. Sa version océan arrache les feuilles, les maltraite, les troue, poussée par l’homme qui des erreurs voudraient venir à bout. Certains jadis pensaient que ce bleu rêche, était destiné à supprimer l’encre des stylos bic ou plume. Après mille tentatives, dessins ratés, mots agressés, l’évidence était là : rien, pas même cette partie bleue ne pouvait les effacer. Pourquoi alors l’avoir construite en deux teintes ? Pour tromper le fautif, distribuer quelques feintes ? Après quelques recherches, les plus malins ont trouvé : ce n’est pas d’habitude mais de support qu’il fallait changer. La partie rose pour les cahiers, la partie azur pour les surfaces dures. Voilà là un secret fort bien gardé, que nombre de grands enfants continuent d’ignorer. Les années passant, elle est devenue blanche. Blanche, souple, pratique, sans histoire, elle fait le tour des trousses, des bureaux, des fusains et futures œuvres d’art.

Oh, et il y en a une que nous avons oubliée. Celle qui fond sous la langue et dépose ses notes sucrées. Si les papilles les demandent, aujourd’hui on ne la connaît plus. Elle faisait pourtant le bonheur des gourmands d’hier, des enfants d’avant. On en trouve encore chez les grands-mères, les mamies, les mémés, les grands-mamans. Celles chez qui les friandises de jadis sont aussi celles de notre temps. Elle prend alors la forme d’un petit dôme, coloré, moelleux, collant. Entourée de grains de sucres elle croque parfois sous la dent. Sans chichis, sans trop de chimie, elle fait encore le bonheur des grands et des petits. Si ses allures de pâte de fruit n’attirent plus autant que les sucreries de nos jours, nul doute qu’une fois en bouche elle déclenchera joie et amour. Celui des petits bonheurs, des instants vrais, des faux problèmes. Des friandises, des éclats de rire et des je t’aime. Et si, malgré tous nos indices, cette énigme vous assomme, nous n’avons plus qu’une chose à dire : mystère et boule de…

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