Vous pourriez être cette personne

Vous pourriez être cette personne

OSHIYA

Voyageons loin de chez nous, jusqu’au Japon, où, croyez-le ou non (mais croyez-le quand même, car tout est vrai), existe le métier de pousseur de passagers dans le métro. Véridique. Mais alors comment ? Pourquoi ? Oui : POURQUOI ?

 

Ils ont des gants blancs, un gilet jaune, et attendent patiemment, en ligne, que le métro suivant pénètre en gare. Là, les portes s’ouvrent, déversant sur le quai des dizaines et des dizaines de jupes, d’attaché-case, de regards rivés sur leur portable, d’employés en retard, et de chaussures mal cirées. Les wagons se vident légèrement, mais d’autres attendent. Et c’est là qu’un ballet se met en place. Chacun tente de trouver sa place au milieu de ce wagon, les corps se serrent, les visages sont joues contre joues. Mais cela ne rentre pas. Impossible. Le train est bondé, blindé, les portes ne peuvent se refermer. Et pourtant, il reste, entre les bras, les jambes, quelques centimètres carrés d’espace libre. Et c’est là qu’ils interviennent, les gants blancs. A la une, à la deux, et à la trois… Ils poussent. Encore et encore, jusqu’à ce que cet amas de corps permette la fermeture des portes.

 

Certes, le métro parisien est une galère, de même que le Rouennais, le Lyonnais, le Marseillais. Bref, le métro, en général, est une galère. Les odeurs, les places libres, les incivilités… Prendre le métro s’apparente parfois à un sport de combat. Preuve en est la présence au Japon de ces pousseurs, Oshiya en japonais. Leur boulot est simple : remplir les wagons au maximum, Jusqu’à 200% de la capacité des rames. Le matin et aux heures de pointe. Comme nous l’explique le blog Japan Café, consacré à la culture nippone : “Quand ils ont d'abord été introduit en gare de Shinjuku, ils étaient appelés "arrangement personnel de passagers" (旅客整理系 ryokaku seiri gakari), et ont été en grande partie composée d'étudiants travaillant à temps partiel. De nos jours, le boulot du personnel de gare et / ou travailleurs à temps partiel est de remplir ce rôle pendant les heures de pointe du matin sur de nombreuses lignes”, ajoutant que “Le terme oshiya (押し屋) est dérivé du verbe "Osu" (押す), ce qui signifie "push", et le suffixe "-ya" (屋) indiquant «la ligne de travail."

 

Concrètement, en quoi consiste ce drôle de métier ? Car il ne s’agit pas uniquement de pousser. Un oshiya est également chargé de veiller à la sécurité des passagers. Quand le métro est blindé, il veille à ce que personne ne chute sur le quai, faute de place. Si un passager se retrouve face à une rame pleine, alors il oriente ce dernier vers un espace libre, une place assise si la femme est enceinte, ou la personne âgée. Une fois les portes prêtes à se  fermer, il doit également veiller à ce qu’aucun sac ou aucune robe ne dépasse. Puis, “Quand ils ont terminé leur région, ils vont à l'aide de leurs collègues dans une autre région. Ils font aussi l'œuvre d'un «extracteur-off" (剥がし屋 hagashiya), tirant des passagers qui tentent d'obtenir le train trop tard, ou lorsque le train est trop plein” (Source : Japan Café). Puis, alors que le train est prêt à partir, ils agitent alors un petit drapeau afin de signifier au conducteur qu’il peut rejoindre la prochaine station, ou le même spectacle se répète.

 

Et chez nous ? Du côté de la RATP (car oui, en France, sur certains quais du RER A par exemple, particulièrement emprunté, il arrive que des pousseurs donnent un petit coup de main), on ne communique pas sur ces choses-là. Officiellement, ces agents en gilet orange sur le quai sont là pour assurer la sécurité, et non pour vous aider à rentrer dans le wagon. De même, au Japon, le métier tend à disparaître, alors qu’il fut particulièrement répandu dans les années 90. A l’époque, la ville de Tokyo est en plein boom. Deux mots : croissance économique. Problème : les trains de banlieue peinent à suivre face à la hausse des voyageurs. Un problème partiellement réglé aujourd’hui. Quelques chiffres pour bien comprendre : 35 millions d'habitants se déplacent chaque jour dans l'agglomération tokyoïte. Le métro de Tokyo voit passer, chaque jour, 8,7 millions de voyageurs, sur treize lignes gérées par deux compagnies différentes. Pas étonnant que le métro japonais soit surnommé “tsukin jigoku“, ce qui peut se traduire par « l’enfer du banlieusard ». Chez nous, c’est moins de la moitié, 4 millions de Franciliens prennent quotidiennement le métro et le RER (septième rang mondial, tout de même). Et pour quelques chiffres de plus : “Aux heures de pointe, un train bondé part toutes les 120 secondes. Un autre surnom pour “l’enfer du banlieusard” est « chikan » : le train peloteur. Plus de 4.000 hommes sont arrêtés chaque année pour avoir palpé des femmes dans les trains bondés. 17% des Japonaises admettent s’être déjà faites peloter dans un lieu public au moins une fois dans leur vie, tandis qu’une étude de 2001 a révélé que plus de 70% des jeunes filles avaient connu le même sort. Pour lutter contre ce problème, depuis 2005, Tokyo a introduit des wagons réservés aux femmes. Les femmes sont satisfaites, et les hommes aussi, car ils ne risquent plus les accusations infondées. L’objectif du gouvernement est de diminuer le nombre de personnes dans les wagons pour que le remplissage ne soit plus que de 150%, afin de réduire les problèmes de manque d’air et les troubles respiratoires que connaissent certains passagers” (Source : Express Business).

 

Paris, un peu. Tokyo, toujours. Et ailleurs ? En Chine, au moins trois villes emploient encore des pousseurs, dont Shanghai et Chongqing. En février 2017, le métro de Madrid employa également des pousseurs, ou “empujadores”. En cause, de grands travaux sur la ligne 8, qui relie l’aéroport au centre de la ville et des stations régulièrement fréquentées en maintenance. Enfin, à New-York, les “platform controllers” sont là pour orienter les voyageurs, sans pour autant, officiellement, pousser qui que ce soit.

 

Aller au travail, partir tôt, revenir tard, croiser des visages grimaçant, et répéter chaque jour de chaque semaine le même rituel, triste, austère. Métro, boulot, dodo, comme on dit. Usant, forcément. Mais souriez (même si vous prenez la ligne 13, de loin la pire de toutes), car cela pourrait être pire. Vous pourriez, chaque jour, être sous terre, lieu de travail sans soleil, à pousser des gens qui vous détestent pour cela, car vous représentez les pires heures de leur journée. Oui, dites vous bien que cela pourrait être pire : vous pourriez être un Oshiya.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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