Vous allez (forcément) vous endormir

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Tom (Partie 3)

La première impression n'est pas toujours la bonne. Installé d'office à côté de Tom après une semaine de cours dans son nouvel établissement, Fabien pensait avoir affaire à un élève rejeté par ses camarades. Une sorte de premier de la classe ou de donneur de leçons comme il en avait croisé beaucoup par le passé. Il l'avait observé un peu plus tôt dans la cour, en train de déambuler seul pendant que les autres s'époumonaient tous en chœur. Le genre à poser des questions désagréables sur son passé et à émettre des jugements de valeur avant de réclamer un changement de place pour éviter de prendre le moindre risque. Mais à sa grande surprise, pour cette première heure en commun, son voisin n'avait pas ouvert la bouche. Il s'était contenté de dessiner, d'écrire et de lever la main sans succès à toutes les interrogations de l'enseignant. Il ne faisait absolument pas attention à tout ce qui l'entourait. Un comportement aux antipodes des autres élèves, plutôt bruyants et agités. Et c'est ce silence qui finit par attiser la curiosité du nouvel arrivant. Il avait finalement pris l'initiative d'engager la conversation en sortant de l'établissement, un soir d'averse. Alors qu'il ne lui avait encore jamais adressé la parole, Tom lui avait proposé de partager un parapluie sur le chemin du retour. Un geste assez peu courant pour un enfant de 12 ans et qui ne correspondait pas non plus à son attitude globale depuis l'arrivée de son nouveau camarade. Il lui expliqua alors tout naturellement qu'il n'avait pas pour habitude de s'intéresser aux autres, que ses compagnons de classe n'avaient pas les mêmes centres d'intérêt et qu'il avait lui-même choisi de s'isoler et de rester seul malgré la volonté des autres de changer cette situation. Un discours qui trouva évidemment un écho chez Fabien, qui pensait plus ou moins la même chose mais pour des raisons différentes. Son histoire et son vécu lui avaient conféré une incroyable maturité. Il réfléchissait et murissait ses actions comme un adulte et avait bien du mal à trouver quelqu'un sur la même longueur d'onde. D'autant qu'en plus de ses réticences à se rapprocher des autres adolescents, il ne pouvait bien souvent pas se permettre de s'accrocher à quelqu'un aux vues de ses nombreux changements de villes et d'établissements.

 

En quelques minutes seulement avec Tom, la discussion semblait franche, honnête et sans retenue. Lui qui n'aimait pas se confier écoutait attentivement les déboires scolaires et sociaux de son camarade dont l'honnêteté le surprenait. Il faut dire que Tom ne souhaitait en aucun cas s'apitoyer sur son sort mais détaillait froidement le raisonnement qui l'avait mené à cet isolement. Loin du stéréotype de l'intellectuel rejeté par les autres, il avait fait le choix de cette situation, qui ne le rendait pas malheureux mais qui ne l'épanouissait pas non plus. Et quand ce fut au tour de Fabien d'évoquer son histoire, Tom encaissa les informations en faisant les commentaires adéquats. Il semblait comprendre la tristesse de son compère sans rentrer non plus dans une attitude de pitié. En règle générale, les personnes qui découvraient ce parcours semé d'embûches avaient deux réactions en fonction de leur âge. Les enfants avec l'insouciance qui les caractérise, ne faisaient pas spécialement attention à son histoire. Quant aux adultes, ils avaient pitié puis semblaient se révolter face à cette société incapable d'empêcher une vie de se briser si tôt. Pas évident de trouver sa place, donc. Tom ne rentrait dans aucun de ces clichés et c'était particulièrement appréciable pour son interlocuteur. Sans donner beaucoup de détails - méfiance oblige -, il avait notamment expliqué ne jamais se sentir chez lui, nulle part. Il savait qu'il avait une part de responsabilité puisqu'il restait constamment sur ses gardes et ne voulait en aucun cas lâcher prise avec des "inconnus". Si cela était vrai pour ses camarades, c'était également le cas pour les familles d'accueil. Ce qui le rendait fou, c'est qu'il n'était pas comme ça à l'origine, il n'avait pas cette méfiance en lui. Mais à deux reprises, il était entré dans une famille qui n'était pas parvenue à le mettre sur un pied d'égalité avec les autres enfants du couple. Se sentant lésé malgré sa bonne volonté, il s'en était pris physiquement aux garçons. Une attitude qu'il n'avait aucun mal à justifier mais qui lui avait conféré l'étiquette "d'enfant violent" auprès des services sociaux. Et puisque les cellules familiales ne voulaient prendre aucun risque, il était désormais baladé entre foyers et couples sans enfant. Mais de lui-même, il avait compris que son attitude n'était pas la bonne et qu'il valait mieux essayer de s'intégrer plutôt que de se révolter. Sans se sentir pleinement épanoui dans son dernier point de chute, il appréciait sa nouvelle ville et savait que son intégration passerait également par de bons contacts au sein du collège. S'il se savait plus mature que les autres, il se disait que les adultes avaient constamment besoin de preuves.

 

Bien que leur discussion n'ait pas duré des heures, ils savaient l'un et l'autre qu'ils assistaient en direct au début d'une belle histoire. Ils se comportaient aussi naturellement que deux vieux amis qui se seraient perdus de vue dix ans plus tôt puis retrouvés pour faire le point. Envahi par un sentiment assez nouveau en rentrant chez lui, Tom se surpris à évoquer sa nouvelle rencontre avec ses parents. Il était bien plus enthousiaste qu'à l'accoutumée. Bien sûr, l'histoire de son camarade l'avait légèrement perturbé mais il ne voulait retenir que le positif. Lui qui considérait jusque-là que sa précocité était une malchance qui l'empêchait d'avoir de vraies relations sociales, il relativisait après avoir entendu cette histoire. Alors qu'il considérait bien souvent que ses camarades n'étaient pas intéressants, il appréciait la lucidité, l'intelligence et le franc-parler de Fabien. Ce dernier, surpris par l'attitude de son interlocuteur, semblait également conquis et se sentait enfin prêt à s'engager dans un processus d'amitié, alors même que les deux garçons se connaissaient à peine. Fabien voulait s'intégrer et avoir de meilleurs résultats scolaires. Et c'est particulièrement sur ce dernier point que Tom allait pouvoir se rendre utile. Légèrement inquiets dans un premier temps par les déboires du nouvel ami de leur fils, les parents de Tom comprirent rapidement que cette rencontre pouvait être une véritable bouffée d'air dans la vie de leur progéniture. Puisqu'il se sentait investi d'une mission et que cette rencontre semblait pouvoir être bénéfique pour tout le monde, il n'y avait pas lieu de faire preuve d'une prudence exagérée. Ils étaient globalement contents que leur fils s'ouvre enfin à quelqu'un d'autre, après quelques mauvaises expériences par le passé. Au cours des semaines qui suivirent, Fabien passa beaucoup de temps chez Tom et les parents de ce dernier furent rapidement conquis. Au point de l'inviter pour Noël et les fêtes de fin d'année afin qu'il soit avec la personne dont il se sentait le plus proche. Une véritable relation de fraternité était en train de s'instaurer entre les deux jeunes après seulement quelques mois. Et ils n'étaient clairement pas au bout de leurs surprises...

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