Vous allez (forcément) vous endormir

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Taxi ! (partie 3)

« Je n’ai jamais pris le train, ni l’avion, ni le bateau… » « Ni le taxi ? ». « Ni le taxi ». Axel se dit alors que pour cette femme qu’il ne connaissait que depuis 2h, il était une de ces premières fois qui composent l’existence. Une première fois minime, sans grand intérêt, sans grand relief, mais une première fois quand même. Sans savoir pourquoi, il se sentit important. Hélène aurait pu monter dans n’importe quelle voiture, elle avait choisi la sienne. S’il croyait aux faits, il se surprit à commencer à croire au destin, à l’idée que les choses étaient déjà écrites. Une façon pour lui d’excuser sa triste vie, dont il n’était peut-être finalement pas si maître. Cette pensée lui était aussi triste que séduisante. S’il ne contrôlait pas ce qui se passait, qui le faisait ? Au moment où ces tergiversations lui traversaient l’esprit, alors qu’il roulait sur le Boulevard de la Villette, il n’eût pas de doute : ce soir, c’était Elle qui avait le contrôle. Il n’avait de pouvoir que sur l’itinéraire qu’il suivait, mais ne l’utilisait même pas. Il se laissait porter par les feux, les virages, les voitures, les rues. Le hasard ou le destin, c’est selon, faisaient tout de même bien les choses : il avait malgré lui ramené la disparue de Belleville à bon port, là où elle vivait, là où elle avait été aperçue pour la dernière fois.

 

« Regardez, vous voyez cette petite fenêtre, là haut, à côté de l’œuvre de Ben ? C’est ici que j’ai vécu toute ma vie. C’est ici que je suis censée continuer à vivre. J’y ai laissé mes vêtements, mes livres, mes souvenirs. Je suis persuadée qu’ils ne me manqueront pas. ». « Vous parlez comme si vous n’alliez jamais revenir. ». « C’est le cas. ». Elle ne savait pas où elle allait, mais elle savait pourquoi elle y allait. Pour changer de quotidien, rattraper un temps perdu à dormir, manger, travailler, dormir, manger, travailler. « Vous faites quoi dans la vie ? ». « Je faisais quoi, vous voulez dire ». « Ne jouez pas avec les mots ». « C’est pourtant ce que je fais de mieux. Inquiéter ma mère, écourter mes relations et me détruire la santé aussi, mais ça passe en second plan ». « Vous êtes quoi, une sorte d’écrivain maudit ? ». « Pourquoi maudit ? » C’est vrai ça, pourquoi maudit ? Sans pouvoir mettre de mot sur sa réponse, il y voyait une évidence. « Ce n’est pas le cas ? ». « Non, ce n’est pas le cas. D’abord parce que je ne suis pas écrivain, ensuite parce que la malédiction implique un jeu du sort. Je suis responsable de tous mes actes, j’assume tout, j’assumerai tout ». Il avait maintenant 1000 questions à lui poser.  Alors qu’il essayait de les mettre dans l’ordre pour mieux commencer son interrogatoire, il vit Hélène se mettre à gesticuler en regardant par la fenêtre.

 

L’air si serein qu’elle avait adopté tout au long du voyage avait disparu pour laisser place au trouble. Un trouble qui ressemblait tantôt à de l’angoisse, tantôt à de l’excitation, et qui poussa Axel à s’arrêter. « Mais qu’est-ce que vous faites, roulez enfin ! ». Trop tard, la rue de Belleville était désormais bloquée par une ribambelle de voitures pressées. Impossible de s’insérer. Perdue entre l’envie de s’enfoncer profondément dans son siège et celle de regarder par la fenêtre, Hélène montra pour la première fois un signe de faiblesse. La femme confiante et sûre d’elle se transforma en petite fille farouche, attendant les conseils de sa maman pour agir. Si sa maman ne se trouvait qu’à quelques mètres, elle ne pouvait cette fois-ci rien faire pour elle.

 

« Mais qu’est-ce qui se passe, dites-le moi ou je vous sors de mon taxi ». Pas de réponse. « Oh, je vous parle ! ». Elle était assise, le dos droit, ses yeux grands ouverts regardaient dans le vide. Axel claqua des doigts devant ses yeux pour la sortir de son coma éveillé. Elle cligna frénétiquement avant de s’agripper à la fenêtre. « Elle est toujours là… » murmura-t-elle. « Qui est toujours là ? De quoi vous parlez, répondez ! ». Axel perdit son sang froid. Il détestait ne pas comprendre. Il ne savait ni ce qu’il se passait, ni s’il courait un risque. Il savait juste que sa passagère avait assez peur pour lui transmettre ses tremblements. Paniqué, énervé, il ne réfléchit pas et sorti de la voiture. Il ouvrit la portière qui protégeait Hélène, la pris par le bras et la força à sortir à son tour du véhicule. Obnubilée par l’image qui avait déclenché sa crise, elle ne se défendit qu’à moitié, les yeux rivés vers le trottoir d’en face. Axel se mis face à elle, la prit par les épaules et la secoua en essayant d’attirer son regard. Sans succès. Il comprit enfin que ce n’était pas elle qu’il devait fixer. Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt. Si Hélène était loin d’être sage, lui était aussi loin d’être idiot. Il regarda enfin à son tour ce qui se tramait de l’autre côté de la rue. Il aperçu d’abord la voiture rouge. Sûrement celle que le journaliste décrivait à la radio lorsqu’il passait son avis de recherche. Elle était juste là, garée. Personne au volant, personne sur le siège passager, personne à l’arrière. Hélène n’avait pas pu changer de comportement juste à cause d’une voiture. Il y avait forcément autre chose. Il tenta une nouvelle fois de la questionner. « Vous l’avez vu ? Vous avez vu votre père c’est ça ? ». Elle se mit à pleurer. Axel n’avait ni femme, ni enfant, pas beaucoup d’amis et aucune famille. Il n’était absolument pas prêt à faire face à ce genre de situation. Il ne savait pas s’il devait la consoler, la secouer, la prendre dans ses bras, la laisser respirer. Complètement désorienté, il prit la folle initiative de laisser Hélène dans ses larmes pour se diriger vers la voiture. Il tourna autour sans vraiment regarder à l’intérieur pensant trouver là le meilleur moyen de rester discret et de tâter le terrain. Comme un enfant, il se surprit à s’imaginer dans la peau d’un James Bond version banale. Il regardait furtivement à droite, à gauche. Avançait lentement sur le trottoir, faisait des allers-retours. S’il n’avait pas eu peur du regard des autres et de sa crainte de passer pour un fou, il aurait mis sa main devant sa bouche en murmurant des mots sans queue ni tête, comme s’il envoyait des infos à un binôme brassardé planqué un peu plus loin. Il était malheureusement tout seul sur ce coup là. Et loin d’être qualifié pour mener une quelconque enquête. A qui rendrait-il ses conclusions ? Que cherchait-il exactement ? Jusqu’à présent, à part une femme un peu folle et un véhicule dont il ne savait rien, il n’avait absolument aucun élément lui permettant de deviner à quelle sauce lui et sa passagère allaient être mangés. Pour l’instant, le mélange avait un goût amer. Celui de l’ignorance, celui de l’angoisse. Elle avait aussi un petit goût acidulé, celui de l’excitation qui s’emparait peu à peu de son corps et de son esprit. Au fur et à mesure qu’il tournait autour du véhicule, la peur disparaissait. Il était entré dans la peau d’un autre, dans celle d’un enquêteur, dans celle d’un homme qui ne pense plus au quotidien, juste à ses investigations, à l’instant présent, à cette voiture rouge et à ce qu’elle contenait. Il regarda Hélène, elle n’avait pas bougé. Elle l’observait, le regard rouge et la moue défaite. Axel commença à creuser.

 

 

 

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