Vous allez (forcément) vous endormir

Vous allez (forcément) vous endormir

Prénoms (partie 4)

Marianne, Capucine, Justin et Damien et ses deux acolytes étaient maintenant silencieux. Damien avait le sourire narquois de l’enfant qui a réussi son coup, Marianne semblait aussi désemparée qu’énervée, Justin serrait les dents pour ne pas en venir aux mains et Capucine, contre toute attente, semblait blasée. Elle n’avait plus peur. Pendant que les chefs de file se chamaillaient, la plus discrète de toute cette joyeuse bande s’était isolée pour prendre du recul. Après quelques minutes de réflexion, elle s’était faite à l’idée qu’ils n’étaient que des enfants, que rien n’était grave et que l’assaut de leur labyrinthe n’était peut-être qu’une première étape vers leur vie d’adulte. Comme une première épreuve que leur imposait la vie, la situation dans laquelle Damien avait mis le trio culte du Royaume était un simple petit problème à résoudre, un obstacle à contourner. Finalement, ce qui peinait le plus Capucine dans cette histoire n’était pas la perte de leur QG mais cette petite guéguerre qui lui paraissait de plus en plus ridicule et superficielle. Derrière toutes ces pensées un peu trop matures pour son âge, quelques questions la taraudaient néanmoins vraiment. Comment leur ennemi des bacs à sable avait-il réussi à percer l’un des plus grands secrets de la cour ? Comment un enfant tel que lui, aveuglé par la vanité au point d’en perdre le plus souvent son bon sens et son intelligence était-il parvenu à berner la Reine et sa fille ? Et d’ailleurs, laquelle des deux cartes existantes avait été volée ? Celle de Marianne ou celle de sa maman ? En toute logique, il devait s’agir de celle de son amie. Difficile d’imaginer qu’un adolescent ait pu passer outre tous les bâtons que la Reine s’est appliquée à mettre dans ses roues pour mettre ce qu’elle avait de plus précieux à l’abri.

 

Alors que les enfants s’agitaient dans leur cellule de crise, Igor reprenait ses esprits. Après avoir inspiré et expiré lentement une dizaine de fois, le molosse à la tête bien pleine pouvait se poser et revenir sur ce qu’il venait de vivre. Avait-il vraiment vu ce cyprès en forme de lion prendre vie ? Etait-il devenu fou ? Tant qu’il n’était pas retourné sur les lieux du drame, il n’aurait pas la réponse. Et puis de toute façon, sa perte de raison soudaine n’était pas ce qui l’inquiétait le plus. Ce qui faisait trembler ses membres, c’était sa petite Marianne. Il s’empressa ainsi de faire demi-tour pour rejoindre les bandes rivales.

 

Au cœur du labyrinthe, la situation avait un peu évolué. Damien avait en effet enfin répondu à la fameuse question « où as-tu trouvé cette carte ? ». Malheureusement pour Marianne, Capucine et Justin, la réponse était loin d’être celle qu’ils attendaient.

- Je l’ai trouvée par terre.

- Par terre ? Tu te fiches de nous ?, répondit Justin, riant jaune d’une telle absurdité.

- Quoi, ça t’étonne ? Peut-être que la petite Marianne ne tient pas tant à votre fameux QG. Si c’était le cas, elle ne laisserait pas trainer ses affaires comme ça !

- Je ne suis pas ta petite Marianne, répondit la princesse en insistant sur chaque syllabe. Et la carte que tu as n’est pas la mienne, je ne l’ai jamais sortie de ma chambre. Je connais le chemin par cœur, je ne la prends pas avec moi à chaque fois que je sors.

A l’entente de ces paroles, Damien, sans le montrer, commença à s’inquiéter. S’il ne s’agissait pas de la carte de Marianne, il s’agissait de celle de la Reine. Il avait la carte de la Reine ! Il en était sûr, il aurait des problèmes. Il s’imagina déjà être accusé d’avoir volé la femme la plus puissante du royaume, devenir un paria aux yeux de tous. Fini son petit confort, finies les petites batailles d’enfant, finie la belle vie !

C’est ainsi blanc comme un linge et beaucoup moins confiant qu’il cria :

- MAIS JE VOUS JURE QUE JE L’AI TROUVEE PAR TERRE !

La situation de force s’inversait. Il avait peur, et ça se voyait. Justin en profita pour reprendre le contrôle de la situation.

- Mais arrête de mentir Damien, tu vas nous faire croire que la Reine se serait tranquillement baladée avec la carte, l’aurait malencontreusement laissée tomber et, cerise sur le gâteau, ne se serait même pas inquiétée de ne plus l’avoir avec elle ? Arrête un peu !

- D’accord. Dans ce cas, ça veut dire que vous me pensez assez malin pour avoir réussi à pénétrer dans les quartiers de la Reine, semer les gardes du corps, trouver le coffre, trouver le CODE SECRET du coffre, voler la carte et repartir comme si de rien n’était.

A l’entente de ces quelques mots pleins de bon sens, Capucine se surprit à dessiner sur son visage un petit sourire en coin. Contre toute attente, elle était plutôt contente que ses deux compagnons de route soient pour une fois mis face à leurs contradictions. Justin et Marianne, eux, venaient d’essuyer un bel échec. A se mettre en tête que leur ennemi juré n’était qu’un imbécile, à n’avoir jamais cherché plus loin que la carapace pleine de mauvaise fois et de vanité de leur adversaire, ces deux-là étaient certainement passés à côté de la vraie personnalité de Damien. Celle-là était beaucoup plus complexe qu’elle n’y paraissait. Celui dont ils avaient toujours combattu la présence était peut-être un garçon intelligent. Ou du moins pas aussi stupide que ce qu’ils pensaient. Et Damien, tout en mettant en avant son incapacité à inventer un plan assez brillant pour découvrir le graal, avait, et c’est un comble, fait preuve d’une vivacité d’esprit étonnante. Derrière toutes ces réflexions se cachait néanmoins un vrai problème. Justin et Marianne s’étaient rendus à l’évidence : non, Damien n’était pas assez malin pour avoir déjoué tous les obstacles mis en place par la Reine pour empêcher quiconque d’entrer dans le QG de sa fille chérie. Mais quoi ? Ils n’allaient quand même pas croire que la femme du Roi ait été capable d’une telle négligence !

- Si tu l’as trouvée par terre cette carte, c’était où ? Et il est où Igo… Marianne n’avait pas eu le temps de finir sa phrase. Alors qu’elle s’apprêtait à parler du loup, celui-là entra dans la bergerie en sueur, essoufflé, un bâton à la main et en criant.

- MARIAAAAAAANNE !!

Arrivé au cœur du labyrinthe, Igor s’arrêta net. Les six adolescents le regardèrent, bouche bée, yeux grands ouverts, muets mais pas sourds. Comme si le temps s’était arrêté quelques secondes pour appuyer l’absurdité de la situation. Et comme dans un monde parallèle, il y eut un moment de grâce. Le genre de moment que l’on pense impossible, le genre de moment qu’on n’aurait jamais imaginé… Marianne, Justin, Capucine, Damien… Tous éclatèrent de rire. Il n’y avait plus d’ennemis, plus de guéguerre, plus de haine. Que du rire. Un rire qui dura deux bonnes minutes, le temps pour l’ensemble de la clique d’oublier sa querelle. Quelle improbable scène ! Mais pas autant que celle qui les attendait…

 

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Damien et son grand frère Thibault riaient aussi en cœur. Ils riaient en imaginant la scène qu’ils venaient d’inventer, Igor arrivant comme un fou, les enfants hilares… Les belles histoires réchauffent les cœurs, la leur les avait réconciliés.

 

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Alors qu’ils essuyaient leurs larmes d’avoir trop ri, une silhouette apparut derrière Igor (qui n’avait pu s’empêcher d’exploser lui aussi, conscient du ridicule de sa propre situation). Les sourires se transformèrent en un silence puissant. Le temps s’arrêta une fois de plus, plus personne ne bougeait… Sauf la Reine, qui avança doucement vers les deux bandes réunifiées. Un grand sourire éclairait son visage. Elle regarda un à un les enfants présents dans le labyrinthe, qui eux n’avaient d’yeux que pour elle, l’incompréhension et l’angoisse.

 

- C’est moi, dit la Reine. C’est moi qui ai fait en sorte que Damien trouve la carte. Vos querelles d’enfants vous empêchent de grandir. Je savais que seul un choc pouvait vous réconcilier. Personne n’a envie de voir des gens intelligents, drôles et plein de vie se faire la guerre. Il faut partager ses qualités pour avancer. Ses défauts aussi.

Elle regarda Marianne.

- Marianne, j’espère qu’à l’avenir tu accepteras la présence de Damien et ses amis dans ce labyrinthe.

Son regard se dirigea vers Damien.

- Damien, ta vanité n’a d’égale que ton manque de confiance en toi. Tu es quelqu’un de bien, n’en doute jamais. Ouvre-toi aux autres, la vie n’en sera que plus simple et plus belle.

Elle balaya le groupe du regard.

- Vous tous, aimez-vous, amusez-vous, apprenez ensemble, avancez ensemble.

Elle tourna enfin la tête et regarda Igor du coin de l’œil.

- Et toi Igor, va donc te coucher, tu as l’air bien mal en point !

Fou rire général.

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