Vous allez (forcément) vous endormir

Vous allez (forcément) vous endormir

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A la télé, un jeu célébrant les amours avec un grand Z tente d’accoucher les sourires. Sur le canapé, les rayons du soleil forment un triangle dans lequel Il aime se réfugier. Dehors, les rues grouillent de gens en t-shirts dévoilant les bras, jupes découvrant les jambes, lunettes recouvrant les yeux. L’été est là, et avec lui le mercure qui fait goutteler les fronts et couler le rosé. Contrairement à tous ceux qu’il observe à travers sa fenêtre, Il ne peut rien enlever pour évacuer la chaleur. Il peut, à la rigueur, se réfugier dans un coin ombragé, une ruelle noire peu avenante ou une chambre aux volets fermés, mais à quoi bon se cacher lorsque le soleil brille et réchauffe les cœurs ? Heureusement, monsieur a l’habitude. Il est né comme ça. Heureusement, monsieur s’adapte. Au mercure, à sa nature, à ce qui fait qu’on l’aime ou le déteste. Il y a peu de gens qui l’apprécient moyennement. Ses fans et détracteurs sont du genre manichéens. Preuve qu’il a du pouvoir et intéresse, preuve que toute sa vie, il n’inspirera jamais l’indifférence. Ou alors très rarement. Il est comme ça Alain. C’est tout ou rien. La gentillesse ou la méchanceté, le pot de colle ou l’indifférence, l’amour ou la haine, la bravoure ou la peur. Par chance, ses colocataires sont du bon côté de la barrière. Ils l’aiment. Le quotidien d’Alain pourrait être parfait si lui aussi les aimait. Il ne les déteste pas, non. Mais il s’en fiche un peu. Il n’est pas du genre à s’attacher, plutôt du genre opportuniste. Ce jour-là, ses colocs en ont eu l’ultime preuve.

Ce jour-là, Alain somnolait dans le canapé lorsqu’un vrombissement venu de l’extérieur le sortit de son oisiveté. Il se leva d’un bon et passa sa tête derrière le voile qui rendait son quotidien invisible pour les voisins. Il regarda en haut, à gauche, à droite puis en bas, où il vit la mine peu avenante, visiblement énervée, du responsable du brouhaha qui l’avait coupé dans sa sieste de 11h. De son deuxième étage, il parvenait à analyser tous les détails de la scène. Un accrochage classique entre deux voitures. Rien de grave, juste quelques rayures, 30 minutes de retard pour aller au travail et la mauvaise foi des deux conducteurs, incapables de décider lequel des deux n’avait pas respecté le code de la route. Si l’un criait pour se faire entendre, l’autre restait statique, les bras croisés, l’œil sûr, attendant patiemment que son ennemi de la matinée finisse d’exposer ses arguments pour le contredire. Droit dans ses espadrilles, il abattit calmement ses cartes, troublant de sérénité. A la fenêtre, Alain faisait ses paris (il misait sur la tranquillité plus que sur la colère), jusqu’à ce que son attention trouve meilleur sujet à disséquer. La voiture de l’irascible, dont l’autre véhicule avait percuté le côté, n’était pas indemne. A l’arrière, son coffre avait profité du choc pour s’ouvrir et dévoiler son trésor. De là-haut, Alain ne parvenait pas à deviner ce qui emplissait l’arrière de la citadine. Parce qu’il n’avait pas grand-chose à faire de ses journées et que l’ennui lui tordait l’esprit depuis quelques temps, il décida de s’en mêler. Il sorti de son appartement, excité comme un enfant dans le jardin un dimanche de Pâques. Il dévala les escaliers avec risque et chance et sorti de l’immeuble en toute discrétion, comme s’il n’avait pas vu la scène qui se jouait sous sa fenêtre. Il tourna nonchalamment autour des véhicules et des victimes de l’accrochage jusqu’à arriver au point qui l’intriguait le plus : le coffre. Malheureusement pour lui, les sacs ne laissaient en aucun cas entrevoir ce qu’il y avait à l’intérieur. Il chercha ainsi les indices qui l’amèneraient à la solution : des formes suspectes, des mots, une odeur. Une odeur ? Il y en avait une. Il continua à errer autour de la scène pour tenter d’en déceler les arômes. Si elle ne lui faisait penser à rien de concret, cette odeur lui évoquait une pointe de nostalgie, un souvenir bien enfoui. Jusqu’alors, Alain cherchait un but à sa vie. Aujourd’hui, il avait trouvé de quoi s’occuper durant quelques jours. Curieux et entêté, il avait décidé qu’il ne rentrerait pas chez lui avant d’avoir recouvrer la mémoire.

Pendant que les deux hommes rédigeaient comme ils pouvaient le constat qui règlerait leur litige, Alain réfléchit à la façon dont il pourrait suivre le colérique pour percer le mystère des sacs. Monter dans la voiture pendant un moment d’inattention ? Non, personne ne faisait ça. Investir lui-même le coffre ? Et braquer le conducteur pendant qu’on y est. Si sa curiosité était de celles qui poussait n’importe qui à faire n’importe quoi, il dû finalement se résoudre à l’idée de ne jamais découvrir à quelle partie de sa vie, à quels souvenir l’odeur qui émanait du trésor se rapportait. Après s’être froidement serrés la main, les deux reprirent le volant et repartirent comme ils étaient venus, la bonne humeur et quelques morceaux de peinture en moins. Déçu, presque abattu, Alain retourna sur ses pas. Puis d’un coup, comme si cette journée était vraiment la bonne, il entendit la voiture de l’homme calme partir en trombe, et laisser derrière lui le coffre fort trainer avec ses warnings. Un pneu avait rendu l’âme, impossible pour le colérique de faire trembler le boitier de vitesses. Plus besoin de rentrer chez lui pour embrasser l’ennui, le caoutchouc percé lui permis de suivre la voiture en feintant une balade.

Le véhicule s’arrêta quelques centaines de kilomètres plus loin. Pas de chance pour l’homme qui traînait sa mauvaise humeur, son accident avait eu lieu alors même qu’il arrivait à destination. Sa destination, c’était une petite maison de ville en pierres blanches, qu’un portail art déco en fer forgé protégeait de la rue. Un petit jardin mal entretenu mais charmant déroulait un tapis vert devant l’entrée. Le conducteur sorti de la voiture, énervé, ouvrit la grille, fit tourner sa clé et claqua la porte comme pour avertir tout le voisinage que là, tout de suite, maintenant, il n’avait pas intérêt à toquer pour lui demander du sel. Nouvel obstacle. Alain resta planté devant la maisonnette sans savoir comment réagir. Le portail était resté ouvert. Se risquerait-il à entrer dans ce jardin dont il ne connaissait pas le propriétaire ? Après quoi il resterait là, sans rien faire, en attendant que son guide ressorte pour sortir le trésor de son coffre ? Voilà qui pouvait durer longtemps. Il resta planté sur le trottoir durant quelques minutes avant de voir l’homme sortir de la maison. Chaussons aux pieds, il avait l’air apaisé. Alain fit semblant d’attendre quelque chose pour ne pas éveiller les soupçons puis croisa le regard bleu de l’accidenté. Il détourna la tête mais son instinct lui dit que sa couverture ne fonctionnait plus. L’homme avait compris qu’il n’était pas là par hasard. Il s’approcha de lui. Alain était partagé entre l’envie de s’enfuir en courant et celle d’accorder un peu de son temps à l’homme qui pourrait faire ressurgir ses souvenirs. Il choisit la deuxième solution. « Oh bah alors, qu’est-ce que tu fais là, toi ? », lui demanda l’homme d’une voix douce et amusée. Pour seule réponse, Alain laissa s’échapper un son incompréhensible.

Parce que son hôte n’avait pas l’air farouche, le propriétaire du trésor se risqua à approcher sa main. Il adorait les chats, et celui-là était particulièrement avenant. Il avait le poil roux, le regard curieux et surtout, il se laissait approcher sans broncher. Seul depuis des années dans sa maisonnette, Julien avait souvent pensé à adopter un animal de compagnie. Un bruit de moteur le ramena à la raison pour laquelle il était sorti de chez lui : vider son coffre. Il soupira. Les sacs qui s’y trouvaient étaient lourds et nombreux, lui était frêle et fatigué. Obligé, consciencieux, il commença son labeur et emmena le premier baluchon chez lui. Alain le suivit.

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