Vous allez (forcément) vous endormir

Vous allez (forcément) vous endormir

Prénoms

- Nooooooon, c’est moi qui prends celui-là !

- Non c’est moi.

- Non c’est moi.

- D’accord mais il faut qu’il soit méchant, tu m’entends ? Méchant.

Elle s’ennuyait, là-haut, dans cette chambre qui, aujourd’hui, avait la taille de trois studios d’étudiant. Elle avait pourtant tout ce qu’elle voulait, Marianne. Du rose sur les murs, de l’or sur le lit à baldaquins, des poupées en pagaille, des robes de toutes les couleurs, tout ce dont peut rêver une fille de 15 ans, en somme. Tout, sauf une cour d’amis. Il y avait bien Capucine, sa cousine, mais ces deux-là avaient construit leur amitié naturellement, grâce aux liens du sang et à la proximité. Elles étaient en effet nées dans la même pièce, à quelques heures d’intervalles, et vivaient dans le même château depuis ce jour. Il y avait Justin, le fils du chef des cuisines. S’il n’était pas du même rang que ses deux comparses féminines, sa joie de vivre et sa témérité l’avait transformé en mascotte royale. Il était admis partout, adoré des adultes, détesté des enfants (certainement trop immatures pour comprendre le bagout de leur camarade) sauf des deux adolescentes, qui adoraient se laisser guider par les facéties du garçon. A y réfléchir plus intensément, Marianne avait vraiment TOUT ce qu’elle voulait. Certes elle pouvait compter ses fidèles camarades sur moins des doigts d’une main, mais elle les aimait, ils l’aimaient, et tous les trois s’amusaient certainement plus que beaucoup de ceux qui les rejetaient pour leur statut ou leur originalité.

Notre héroïne avait les cheveux roux, ondulés, d’une brillance jalousée par les grandes dames de la cour. Comme Justin, elle avait l’impertinence de l’adolescence arrivée un peu trop tôt, mais contrairement à lui, elle n’avait VRAIMENT peur de rien. Confinée dans sa boîte dorée et au fait des responsabilités de ses parents, elle avait développé l’insouciance de l’enfant qui n’a rien vu mais a tout entendu. Les guerres, l’argent, la jalousie, les plaintes, son monde était celui des grandes décisions et des responsabilités. Bien qu’écartée, du fait de son jeune âge, des activités du roi et de la reine, son intelligence et ses oreilles trainant ici et là l’avaient malgré elle mêlée aux histoires d’adultes.

Si Justin était très mature bien que peureux, c’est qu’il avait vent de ces affaires de grandes personnes d’une autre façon : celle du peuple. Né dans le monde des petites gens mais appréciés des plus hauts pions du royaume, il avançait dans la vie entre deux eaux, conscient de son statut social précaire, à l’écoute des plaintes de ses parents, mais sans mépris ni colère envers ceux qui les exploitaient. A 10 ans, il était déjà capable de prononcer l’adage « c’est la vie » comme s’il connaissait déjà toutes les subtilités de l’existence. Ainsi parvenait-il à prendre du recul sur tout ce qui lui arrivait et à ne jamais s’arrêter de sourire. Il avait de petites lèvres pincées qu’il avait l’habitude de ramener sur le côté lorsque l’espièglerie l’habitait. A savoir toujours. Sa tignasse noire cherchait l’ouest autant que le nord et lui donnait un air négligé mais charmant.

L’outsideuse du groupe était sans nul doute Capucine. Blonde, les yeux bleus aussi clairs que sa peau, la naïveté dans la pupille et la gentillesse dans la voix, elle suivait les intrépides sans faille mais pas sans crainte. Elle les aimait, ils la faisaient se sentir vivante, mais sa pureté l’empêchait de foncer. Pour cette même raison, elle était indispensable au trio. Naïve mais loin d’être immature, elle avait empêché plus d’une fois Justin et Marianne d’aller trop loin dans leur course aux quatre-cent coups. Si elle les adorait pour ça, elle les détestait quand ils allaient trop loin, par fierté, parce qu’ils étaient marginaux, fiers de l’être et volontaires de le montrer au monde entier.

Ces trois-là étaient connus bien au-delà du château dans lequel ils vivaient. Comme tous les gros caractères, ils étaient adulés par les uns, détestés par les autres. Il n’y avait pas d’entre-deux, sinon celui que composait une petite bande de jaloux dont le venin cachait l’admiration. Ceux-là auraient aimé être comme eux, gouailleurs, impertinents, fous, vivants. Le leader de la bande en question avait l’œil noir et la colère rouge. Fils d’un des principaux conseillers de la Couronne, il n’était jamais calme. Toujours nerveux, il n’avait aucun second degré et était à l’affût des remarques qui lui permettraient d’entrer en scène. Tentant le cynisme sans jamais parvenir à l’exploiter avec finesse, il avait le verbe plus agressif que subtil. Son physique sec, ses cheveux parfaitement peignés et ses dents taillées comme des silex lui donnaient naturellement l’air antipathique qu’il aimait à cultiver. Mais dans le fond, derrière ses brimades et ses caprices, se cachait un adolescent au besoin d’attention plus élevé que la moyenne. Très occupé au château, son père ne prenait pas grand soin de son fils et n’intervenait que lorsqu’il s’agissait de lui donner des mauvais points. Très exigent, il n’était pas tendre avec son enfant, qui essayait pourtant tant bien que mal d’accrocher la fierté de son géniteur. Sa mère quant à elle, était trop occupée à jouer au téléphone arabe et à lancer des rumeurs dans les salons officiels pour s’intéresser aux problèmes de son fils. Un méchant au parcours classique, qui menait à la baguette trois comparses qu’il avait volontairement choisis peu vaillants. Il est toujours plus facile d’afficher son pouvoir auprès de grands timides et de peureux. Ainsi s’était-il construit son royaume à lui : il s’était attribué la couronne, avait choisi sa cour et dictait ses lois sans que personne ne puisse les contredire. Se mettre en travers de son chemin avait été acté comme dangereux par l’ensemble des adolescents du vrai Royaume. A l’exception des trois marginaux qui eux, étaient réellement proches du pouvoir mais n’en avaient que faire. Un point commun liait cependant tous ces adolescents : le monde était mal fait, ils le savaient.

- Je vais l’appeleeeeer… Victor !

- Victor ? Mais c’est un prénom de gentil, Victor.

- Oui, t’as raison… Je vais l’appeleeeeeeer…

- Philippe !

- Chut, c’est à moi de décider. Et puis Philippe c’est le prénom de mon oncle, il est gentil mon oncle.

- Tu veux toujours tout décider.

- J’ai 2 ans de plus que toi je te rappelle.

- Et alors ? Ca ne fait pas de toi quelqu’un de plus intelligent.

- Non, mais c’est la loi. Ce sont les plus grands qui décident.

- T’es plus petit que m…

- Chut ! Je vais l’appeleeeeeeeer… Judas !

- Très original, Judas…

- Bon ben vas-y puisque t’es si maligne !

- Tu devrais l’appeler Damien. C’est bien Damien.

- Mais, c’est mon prénom Damien.

- Justement.

Ce jour-là, Marianne n’avait pas la tête à rire. Si elle avait l’habitude d’encaisser les attaques de Damien, elle n’avait encore jamais vraiment pensé à riposter. Elle avait toujours prôné l’indifférence comme la meilleure des armes. Si intelligent soit-il, Justin avait plus d’une fois tenté de lancer l’assaut, toujours arrêté par la sagesse de Capucine et la maturité de la princesse. Mais cette fois-ci c’en était trop.

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