Vous allez (forcément) vous endormir

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Bastien (partie 2)

Toujours seul dans son couloir d'hôpital, Bastien craquait. Il ne s'était plus laissé envahir à ce point par l'émotion depuis plusieurs années. Depuis son cinquième mois à Paris et cette fameuse explication avec son formateur, très exactement. Rapidement intégré dans sa nouvelle famille, Bastien n'avait mis que quelques jours avant de se faire des amis dans sa tranche d'âge. Il était surtout devenu le chouchou des classes supérieures, qui le trouvaient spécial et ne craignaient en aucun cas sa concurrence. Un sentiment grisant pour le jeune joueur qui apprenait beaucoup de ses ainés et qui se sentait progresser semaine après semaine. Mais le problème avec le talent - et sa reconnaissance -, c'est qu'il peut rapidement vous faire tomber dans la facilité. Et si son entraîneur était plutôt content de lui, il sentait que son joueur faisait moins d'efforts et se cantonnait au minimum lors de certaines séances. À l'occasion d'un débriefing vidéo d'une session particulièrement intense, Philippe Berger, en charge des moins de 15 ans, prit les choses en main. Devant tout le monde, il se concentra uniquement sur le jeu de Bastien et mit en lumière tous ses défauts, tenant ainsi des propos particulièrement cassants. Humilié, le joueur quitta la salle de rage avant de s'effondrer quelques minutes plus tard. Son coach décida alors de s'entretenir avec lui pour lui faire pleinement comprendre sa démarche. Il lui expliqua qu'il croyait énormément en lui, qu'il avait beaucoup de qualités mais qu'il ne devait jamais se relâcher. Son petit gabarit pouvait clairement devenir un atout mais il fallait redoubler d'efforts pour ne pas se laisser dépasser par d'autres joueurs certes moins talentueux mais plus travailleurs. Il avait délibérément choisi ce timing pour que Bastien ait le temps de changer d'attitude avant les fameuses évaluations de fin d'année. Piquée au vif, la jeune pépite avait d'abord réagi de manière orgueilleuse avant de finalement comprendre la nécessité de cette intervention. Philippe avait pris cette initiative pour lui éviter d'aller dans le mur. Un véritable électrochoc qui le poussa à redoubler d'efforts sur le pré mais aussi en cours puisque les formateurs insistaient régulièrement sur l'importance des bons résultats en classe pour pouvoir poursuivre la formation. Plutôt brillant dans ce domaine, il s'intéressait à toutes les matières et prenait très au sérieux les différents cours dispensés par les professeurs. Il connaissait l'importance de l'école et des études pour les jeunes sportifs. Puisque les chances de percer professionnellement restent infimes tout au long de la formation, il lui semblait naturel de se constituer un bagage en cas d'échec. Evidemment, il ne voulait pas penser à ça mais l'exemple de son ainé l'aidait grandement dans sa construction personnelle. Doué en tennis, ce dernier connaissait ses limites sur les courts et avaient eu la bonne idée de ne jamais abandonner ses études. Joueur frustré, il était devenu un entrepreneur conquis et n'hésitait pas à délivrer de précieux conseils à son frère, qu'il espérait voir réussir là où il avait lui-même échoué.

 

La remise en question précoce et générale de Bastien allait bientôt lui offrir un statut particulier au sein du club. Sans dénaturer ses relations avec ses coéquipiers, il se mura dans le travail afin de franchir les échelons un à un. Physiquement et mentalement, son évolution impressionnait tout le monde, au point d'être rapidement cité pour intégrer la réserve du groupe pro, à moins de 16 ans. Il passait tous les tests haut la main et en plus d'être naturellement doué sur le terrain, il faisait preuve d'une intelligence de jeu assez remarquable. Milieu défensif à l'origine, il prit progressivement les commandes de son équipe en évoluant en soutien des attaquants. Un poste de numéro 10 dont il avait toujours rêvé, se référant constamment à ses idoles. Il faisait la fierté de sa famille, qui s'inquiétait tout de même de le voir fournir autant d'efforts. Car l'adolescent était parfois dans l'excès et ne se contentait jamais de ce qu'il était capable de faire. Secoué un an plus tôt, il devait désormais être canalisé pour ne pas se mettre en danger physiquement. Ses premières alertes au genou droit ne l'avaient pas inquiété plus que ça. Ses tendons et ses ligaments étaient mis à rude épreuve mais les fameux sifflements de fin de séance le poussaient à se renforcer en salle de musculation plutôt que de se reposer. Jusqu'au jour où l'articulation céda vraiment. Quelques minutes après le coup d'envoi d'un match d'entraînement, il retomba très mal suite à un duel aérien. La torsion lui infligea une très vive douleur, provocant l'inquiétude du staff médical.

 

Dans son malheur, Bastien avait tout de même eu de la chance. Les médecins diagnostiquèrent rapidement une entorse moyenne avec déchirure partielle des ligaments latéraux externes. Une blessure qui ne nécessitait pas de chirurgie mais qui allait l'immobiliser entre deux et trois mois. Un véritable soulagement, d'autant qu'on entrait dans la période hivernale, moins exigeante en matière de progression et de résultats. Mais voir ses coéquipiers et amis préparer les échéances importantes sans lui le minait. Il avait obtenu le droit de rentrer à Mâcon quelques semaines avec l'obligation de reposer son genou. Ses parents étaient évidemment heureux de le retrouver plus longtemps que d'habitude mais sentaient son inquiétude. Malgré ses très bonnes dispositions et son exposition de plus en plus importante au sein de son club, Bastien n'avait pas encore totalement confiance en lui. Surtout, c'était la première fois qu'il se retrouvait dans l'incapacité totale de jouer au football et il savait que sa blessure était loin d'être bénigne. À son âge, nombreux étaient ceux qui devaient quitter leur formation suite à un problème physique. D’autant que le genou est un membre particulièrement fragile et lorsqu'il est gravement touché, il est impossible de s'en remettre totalement. Certains joueurs professionnels, trop souvent blessés, avaient créé malgré eux une jurisprudence du côté des formateurs, lesquels ne veulent plus prendre le moindre risque avec un joueur catalogué comme fragile. Ce n'était évidemment pas encore le cas du Mâconnais mais ce dernier stressait à l'idée de ne pas retrouver pleinement ses sensations. Ne pouvant rester inactif, il se contentait de légères séances de musculation et se voyait prodiguer des soins au niveau du genou. Tout comme sa remise en question quelques mois auparavant, cette douloureuse expérience allait le forger et le pousser à devenir plus raisonnable et rigoureux dans sa préparation. Son souhait le plus précieux était de signer un contrat pro l'été suivant. Pour cela, il devait remplir trois conditions majeures : convaincre la cellule principale de recrutement du club, être en mesure de se présenter au baccalauréat et n'avoir aucun problème physique. Durant les mois qui suivirent, il remplit les trois conditions avec une facilité déconcertante. Jusqu'à ce fameux tournoi de fin de saison.

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