Vous allez (forcément) vous endormir

Vous allez (forcément) vous endormir

Bastien

Il était probablement en train de vivre les minutes les plus longues de sa vie. Dans les couloirs de l'Hôpital Américain de Paris, Bastien attendait avec impatience le verdict. Quelques mots prononcés par un spécialiste qui pouvaient anéantir tout ce qu'il avait construit ces dernières années. Une période de sacrifices, d'éloignement familial et d'efforts inconsidérés pour rien ? C'est ce que le staff médical de son club craignait. Mais il fallait attendre et c'est ce qui rongeait le plus ce jeune footballeur de 17 ans. Assis dans une position très inconfortable depuis de nombreuses minutes, il se repassait le film des dernières heures, des dernières semaines, des derniers mois.

 

Le conte de fées avait démarré trois ans auparavant. Originaire de Mâcon, Bastien jouait au foot depuis son plus jeune âge mais avait petit à petit perdu espoir de percer dans le monde professionnel. Il avait passé plusieurs tests à Saint-Etienne, Lyon ou encore Grenoble mais tous les recruteurs lui disaient la même chose : "T'es bon, t'as du talent balle au pied mais t'es trop petit. Si tu connais une poussée de croissance dans les prochains mois, on pourra reconsidérer ton dossier". Des mots durs à entendre pour un gamin qui ne jurait que par le ballon rond. D'autant que s'il avait un certain talent, il savait qu'il était en train de stagner dans son club et qu'il fallait absolument qu'il franchisse un palier. Certains de ses camarades du même âge avaient déjà obtenu leur place dans un centre de formation prestigieux alors que les portes se fermaient les unes après les autres pour lui. Il songeait comme d'autres avant lui, à partir à l'étranger pour passer des tests et être repéré par une écurie anglaise, espagnole ou italienne, qui ne s'arrêterait pas uniquement sur ses caractéristiques physiques. Mais ses parents avaient bien du mal à imaginer leur fils à des milliers de kilomètres en sachant pertinemment que la probabilité de devenir professionnel était infime. C'est aussi pour cela qu'il s'était contenté d'essais dans la région et ses alentours. Mais voyant petit à petit le rêve de Bastien être anéanti pour des critères ridicules, son père décida de prendre les choses en main et se renseigna auprès de certains recruteurs des clubs voisins afin de trouver une nouvelle piste à explorer. Ses différents interlocuteurs évoquèrent tous le club de la capitale et ses nouveaux moyens colossaux. Racheté un an auparavant par la Qataris, le PSG avait en effet décidé de mettre en place un nouveau grand programme de formation pour que les jeunes issus des quatre coins de l'Hexagone privilégient la France plutôt que l'étranger. Seulement la sélection était drastique et ce programme était très difficile à intégrer. Bien que le centre d'entraînement parisien était situé à des centaines de kilomètres du domicile familial, Franck décida d'inscrire son fils à une journée de détection. Il croyait en lui et était bien décidé à mettre toutes les chances de son côté.

 

C'est donc en juillet 2013 que Bastien prit conscience qu'il pouvait entrer dans une nouvelle dimension. Très heureux de monter à Paris pour tenter sa chance, il était resté bouche bée au moment de pénétrer dans le Camp des Loges pour passer ces fameux tests. Des centaines de jeunes âgés de 13 à 17 ans tentaient d'intégrer ce qui devait progressivement devenir l'un des meilleurs centres de formation de l'Hexagone. Les installations étaient magnifiques, les terrains parfaitement entretenus et tous les équipements nécessaires à la pratique du football étaient neufs. Tous les gamins présents ouvraient grands leurs yeux pour ne pas rater une miette de ce week-end qui s'annonçaient si spécial. Si certains étaient beaucoup plus grands que Bastien, d'autres avaient sensiblement le même gabarit et tout ne semblait pas perdu d'avance comme ce fut le cas par le passé dans sa région. Les enfants étaient classés en fonction de leur âge et devaient reproduire plusieurs fois les mêmes exercices avant éventuellement de participer à une opposition à 11 contre 11 pour déterminer un classement et ne faire revenir que les meilleurs le lendemain. Les parents restaient suffisamment à l'écart pour ne pas les déstabiliser mais certains étaient beaucoup trop stressés pour réussir leur examen de passage. Bien que talentueux, ils perdaient leurs moyens face à tant de pression et d'enjeu. Mais pas Bastien. S'il était assez émerveillé par le contexte et l'environnement dans lequel il évoluait, il avait déjà connu trop de désillusions pour laisser passer sa chance. Une maturité impressionnante pour un jeune de 14 ans, déterminé à repousser ses limites pour convaincre les recruteurs.

 

S'il n'a évidemment pas tout réussi durant ce mini stage, il a convaincu les dirigeants par son talent mais aussi et surtout par sa hargne et son envie. Même lors des tests à haute intensité, il n'a pratiquement montré aucun signe de fatigue. Alors que de nombreux clubs considéraient que son physique le pénaliserait, il a réussi à s'imposer dans les duels. Il était peut-être plus petit que la moyenne mais n'en était pas moins trapu et sa capacité à se battre sur tous les ballons impressionnait. Contrairement à ses précédentes expériences, les formateurs parisiens n'accordaient pas vraiment d'importance à la taille mais observaient plutôt la technique, la vision du jeu et la capacité à s'adapter rapidement à un système en compagnie de nouveaux joueurs. En sortant du centre d'entraînement, Bastien était convaincu qu'il avait fait bonne impression. Sélectionné parmi les finalistes, il espérait terminer dans les dix premiers, seuls heureux élus à pouvoir intégrer la structure parisienne pour au moins une année, avant un nouvel écrémage un an plus tard. La semaine qui suivit fut très longue du côté de Mâcon car il savait pertinemment qu'il avait abattu sa dernière carte à Paris. C'est son père qui décrocha le téléphone le samedi suivant et qui apprit la nouvelle à son fils, les larmes aux yeux. S'il savait qu'il allait le perdre de vue pendant de longs mois, il était conscient que son deuxième enfant avait réussi quelque chose de grand et qu'il méritait de réaliser son rêve. La fête fut belle mais de courte durée car très rapidement, il fallut tout organiser pour le départ de Bastien. Les dossiers administratifs s'accumulaient et les préparatifs ne furent pas de tout repos pour la famille. Mais rien ne semblait plus important que la réussite de Bastien dans cette nouvelle aventure. Intégrer une telle institution était la chance d'une vie et il ne fallait rien négliger pour réussir. Autonome et sûr de son choix, le jeune joueur n'avait pas peur de s'éloigner de sa famille mais était soulagé de rester dans l'Hexagone. Il devait cette réussite à ses proches, qui l'ont toujours soutenu et qui ont insisté pour qu'il puisse participer à cette détection dans la capitale. Probablement la décision la plus importante prise par le jeune homme, qui s'engageait sans vraiment en avoir conscience vers une adolescence faite de plaisir, de victoires mais aussi de sacrifices et de défaites.

 

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