VOUS POURRIEZ ÊTRE GOÛTEUR

Pas faim. Désolé mais c’est ainsi : vous n’avez pas faim. Quelle tristesse, alors que vous êtes assis là, entouré de votre famille et de vos amis, dans ce magnifique restaurant, étoilé en plus, où cette table a été réservée il y a des semaines à l’occasion de votre anniversaire. Mais la vie est ainsi faite : ce soir, vous n’avez pas faim, et donc moyennement envie de goûter tous les plats, aussi riches et appétissants soient-ils. Votre maman vous fusille du regard, vos amis se moquent, et vous vous dites que c’est tout de même un beau gâchis.

Mais arrêtez de vous plaindre, car cela pourrait être pire, bien pire.

Vous pourriez être goûteur.

Un goûteur est une personne qui teste des aliments destinés à d'autres afin de vérifier s'ils sont effectivement consommables ou s'ils ont un bon goût. D’une part, un goûteur peut être employé pour donner son avis, sur le goût, afin d’éventuellement apporter des modifications à une recette. Mais dans certains cas, le goûteur peut être une barrière de sécurité : si le plat servi est destiné à une personnalité importante, mais qu’il est empoisonné, le goûteur alors se sacrifie, en ingurgitant le poison. Un métier d’un autre temps ? Oui, en effet. Il est acquis qu’au temps des Rois de France, à la Cour, les plats étaient mis sous cloche et cadenassés. Un gentilhomme servant (c’est comme ça qu’on l’appelait) devait alors couper des mouillettes, par la suite trempés dans les plats et les boissons servis, avant d’obliger les officiers ayant apporté les plats à croquer ces mouillettes. Trop de précautions pour pas grand chose ? Non. Les exemples de mets empoisonnés sont nombreux : dans la Rome Antique, l’empereur Claudius décéda après avoir mangé un plat (il avait pourtant à sa disposition un goûteur du nom de Halotus, qui fut suspecté du meurtre par la suite), et la reine Durdhara, de la dynastie Maurya, dynastie qui a régné sur une grande partie du sous-continent indien d'environ 321 à 185 av. J.-C, décéda après avoir ingurgité un plat destiné à son mari.

Vous n’avez pas faim ?

Tant mieux pour vous, finalement. Une ex petite amie pourrait vous en vouloir.

Blague à part, non, ce métier n’a pas disparu. Barack Obama avait un goûteur à la Maison Blanche. Mais surtout, croyez-le ou non (mais croyez-le, car nous ne vous mentons jamais), certains fabricants de nourritures pour animaux emploient des humains afin de tester les produits (on vous rassure, pas la pâté, mais les biscuits, ce qui n’en reste pas moins dégoûtant). Moins écœurant : vous pouvez si vous le souhaitez devenir goûteur d’eau. Oui, d’eau. Selon Jean Baron, ingénieur à la direction recherche et développement de qualité de l’Eau de Paris, le goûteur d’eau veille à la qualité sanitaire et gustative de l’eau potable, au même titre que les analyses au microscope. Dans les pages du Parisien, il raconte : “Il y a quelques années, les eaux de Bordeaux ont été contaminées suite à une fuite de station-essence qui avait alors perdu 7 000 litres d’essence. Un goûteur a été le premier à signaler le problème. Il disait que l’eau avait un goût de sans plomb 95. Il avait vraiment tapé dans le mille !”. Sauver des vies ? Oui. Le faire gratuitement ? C’est à vous de voir, mais sachez qu’un goûteur d’eau est bénévole, et ne peut donc rien gagner de plus que le plaisir de… boire de l’eau.

Youpi.

Si ce plan de carrière tombe à l’eau, rassurez-vous, nous avons un plan B. B comme Beaucoup de calories : le géant de l’agroalimentaire Mondelēz International a récemment publié une annonce car les marques Oreo, Milka ou encore Cadbury étaient à la recherche de leur nouveau goûteur. Attention, on préfère vous prévenir, ce boulot est vraiment horrible : il faut manger des barres chocolatées, des bonbons, des gâteaux, et boire des litres de boissons chaudes. Horrible on vous dit ! De la cruauté ! Mais si vous n’avez pas peur de peser 500 kilos après deux semaines et de faire une crise de panique à la simple vue d’une tablette de chocolat (et on ne parle pas du ventre de votre beau collègue), alors sachez qu’il s’agit d’un travail à temps partiel (sept heures par semaine, ce qui est déjà beaucoup), et pas besoin de diplôme, tant que vous avez une bouche (ce qu’a priori, vous avez).

Donc, pour résumer, vous avez le choix : devenir goûteur d’un chef d’état et frôler la mort à chaque bouchée. Ou bien devenir goûteur d’eau pour faire pipi toute la journée sans être payé. Devenir goûteur de biscuits pour chiens (avons-nous vraiment besoin de vous dire que ce job n’est pas très prisé ?). Ou enfin, être goûteur de chocolat, devenir très gros, hurler à la vue d’un Kit Kat, et péniblement gagner quelques pièces.

Alors, arrêtez de vous plaindre. Vous n’avez pas faim, mais personne ne vous oblige à commander quoi que ce soit. Cela pourrait être pire.

Vous pourriez être goûteur.