VOUS POURRIEZ ÊTRE DÉCORATEUR D'INTÉRIEUR

Mon dieu que c’est moche ici ! Désolé, ce n’est pas très poli, mais en arrivant chez votre ami Pierre, vous ne pouvez vous empêcher de penser cela : c’est laid. Les rideaux sont moches, le salon est moche, la terrasse, avec ce faux gazon jaune, est moche. Tout est moche. Et pourtant, vous allez passer les dix prochains jours ici. Car Pierre, désireux de profiter à fond de sa nouvelle maison de campagne, a convié tous ses amis pour près de deux semaines de vacances. Des vacances moches, mais des vacances tout de même. Votre bon goût est heurté en son cœur, mais vous n’avez pas le choix : vous devez rester.

Mais arrêtez de vous plaindre, cela pourrait être pire.

Vous pourriez être décorateur d’intérieur.

Un décorateur d’intérieur, comme son nom l’indique, est embauché pour décorer l’intérieur de votre appartement, ou de votre maison. Il ne s’occupera pas du jardin, ça c’est le boulot du paysagiste, ni de la façade de la maison, ça, c’est le travail de l’architecte. Mais tout ce qui est enfermé entre des murs, alors le décorateur d’intérieur sera en charge de l’embellir. Et ce n’est pas forcément simple. Car le métier englobe de nombreuses missions, et au moins autant de malaises possibles. Si vous pensiez pouvoir agir comme un petit artiste de ligue 2, regarder de longues minutes un mur vide en vous donnant un air de grand penseur, avant de lancer un simple “bleu” à la cantonade en espérant que ça passe et que tout le monde vous prenne pour un génie, et bien non ! Pas moyen non plus de vous la jouer Jackson Pollock sans l’aval du propriétaire. Un décorateur d’intérieur doit maîtriser le dessin technique et les logiciels de PAO/DAO (vous ne savez pas ce que c’est ? Et bah ça commence bien !), mener un projet, respecter les normes de sécurité, gérer un planning, contrôler des travaux, etc. Quant aux formations pour y arriver, elles constituent les cursus les plus prisés, tout comme les écoles prestigieuses telles que Boulle, Olivier de Serres-Ensaama, Camondo, l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs ou La Martinière qui attirent de nombreux candidats. En tout, le Conseil français des architectes d'intérieur reconnaît 14 formations de Bac+2 à Bac+5. Voilà voilà.

Mais imaginons que, par miracle, vous parveniez à être décorateur d’intérieur. Alors vous serez à la merci de ce qu’on appelle : le Client. Le Client a le droit de dire oui, mais surtout de dire non. Il a le droit de vous appeler quand il le souhaite, surtout si vous avez mieux à faire que de répondre à ses questions. Mais surtout, le Client (on écrit le C en majuscule pour que ça fasse peur), sera celui qui par la suite fera votre réputation. Alors, ne grognez pas ! Même si Catherine fait appel à vous pour refaire une chambre de bonne dans laquelle il n’y a strictement rien à refaire, si ce n’est la détruire. Ou si Patrick souhaite à tout prix que la moquette de son salon soit rose, que les murs soient verts, le plafond jaune, et surtout, très important, que la baignoire soit au milieu du salon, parce que “comme ça, c’est rigolo”. Respirez ! Car bien pire vous attend.

Pour concevoir et aménager un appartement par exemple, l’architecte d'intérieur doit savoir travailler en équipe. En effet, vous ne pouvez vous contenter de donner votre avis. Il faut assumer. Vous devrez donc bosser avec l'ingénieur, qui réalise les études thermiques et/ou phoniques ou celles des lots techniques. Avec le designer, qui conçoit les objets décoratifs, le mobilier. Avec l'agenceur qui a un rôle de conseil et de coordinateur, et qui s'occupe de l'agencement de l'espace et la conception de mobilier sur mesure. Avec encore le coloriste qui élabore une cohérence entre l'environnement du bâtiment et son intérieur, les usages et les usagers. Ou bien pour résumer : un mec qui conçoit des tabourets (par exemple en mettant un dossier, en élargissant le socle et en mettant un matelas - bref, en en faisant un lit, quel génie !), un type qui déplace les meubles parce que “la commode est décalée de deux centimètres”. Et enfin le coloriste : celui qui annonce que “non, ce n’est pas jaune, c’est Poussin Joyeux !”.

Oui, c’est énervant.

Virginie a 55 ans. Elle est décoratrice d’intérieur depuis plus de vingt ans, après une carrière dans l’immobilier. Elle a milles anecdotes à partager, mais en a choisi une pour nous : “je devais me rendre chez ce client, que je n’avais eu que par téléphone. J’avais une bonne heure de route, mais il me vendait une superbe demeure à la campagne, et me disait qu’il avait des grands projets. J’y suis donc allé, sans trop savoir à quoi m’attendre, mais avec tout de même quelques idées à proposer. Quand j’arrive, je découvre une immense bâtisse. Il me fait visiter, je trouve toutes les pièces très belles, je ne comprends pas vraiment ce qu’il souhaite.  Il m’explique alors ce qu’il veut. Et là, on est dans la blague du film Les Trois Frères, quand ils imaginent la femme parfaite avec des parties de corps différents. Lui, il voulait une pièce manga, une autre métal, une autre sport, et une autre d’inspiration irlandaise. Parce que c’était toutes ses passions !!”.

Donc, on résume : des études difficilement accessibles et longues. Un travail d’équipe pas toujours simple. Un client pénible, voire complètement perché. Oui, de toute évidence, cela pourrait être pire.

Vous pourriez être décorateur d’intérieur.