Vous allez (forcément) vous endormir

Vous allez (forcément) vous endormir

Tom (Partie 1)

L'automne était désormais pleinement installé dans la capitale des Gaules. Les feuilles jonchaient le sol de la cour du collège Saint-Exupéry, donnant l'impression d'un coucher de soleil permanent autour du bâtiment principal et de son annexe. Si la pluie fine qui tombait n'empêchait pas les enfants de profiter de leur récréation, les surveillants restaient sur leurs gardes pour éviter tout accident. Les cris résonnaient aussi bien dans le préau qu'au niveau du terrain de fortune sur lequel se disputait un match de football des plus intenses. Tous les garçons ou presque étaient réunis autour des buts, formés à l'aide de sacs à dos sales et détériorés.

Comme à chaque pause entre deux cours, Tom se baladait seul, la tête orientée vers le ciel. Il se projetait dans un monde imaginaire, un monde à des millions de kilomètres et dans lequel il se sentirait enfin à l'aise. Très contents de ses résultats et de son implication en classe, les professeurs ne se faisaient aucun souci pour lui. Certes, ils étaient gênés de le voir aussi souvent seul mais toutes leurs tentatives pour l'intégrer dans un groupe avaient échoué. Alors que faire ? Certains enfants sont plus timides que d'autres et il faut parfois laisser le temps faire son œuvre. D'ailleurs, l'attitude de ses parents était peu ou prou la même. Après une période très difficile à l'école primaire, ils étaient désormais persuadés que tout allait pour le mieux. Ce n'était pas totalement faux puisque même si son côté solitaire était exacerbé, il parvenait enfin à fréquenter ses camarades en dehors des heures de cours. Ce n'était pour autant pas naturel et Tom n'était pas épanoui à leur contact. Ces derniers n'étaient pas vraiment ses amis, et leurs tentatives pour aller vers lui avaient échoué. Si les enfants sont souvent sensibles, ils ne conçoivent pas toujours de faire des efforts démesurés pour intégrer pleinement un camarade. Tom avait fait le choix de mettre une distance avec ses camarades et rien ne semblait pouvoir changer ça. Ainsi, à chaque match, exposé ou jeu de société, il restait à l'écart pour ne pas être choisi et rester dans son monde. D'un œil extérieur, cela semblait forcément dommage au vu de ses capacités physiques et intellectuelles bien supérieures à la moyenne. Mais il s'était mis tout seul dans une situation de quarantaine qui lui convenait parfaitement. Il s'éclipsait de lui-même pour se réfugier dans la lecture d'ouvrages que ses camarades ne découvriraient pas avant le lycée. À 12 ans seulement et malgré de nombreuses invitations déclinées les unes après les autres, il avait appris à ne pas être frustré de ne pas partager ses passions avec ses copains de classe.

 

Car Tom n'a pas toujours été un garçon solitaire. Très tôt, à la fin de la maternelle, les spécialistes l'avaient diagnostiqué enfant précoce, provoquant l'inquiétude de son entourage. Quelles sont les conséquences ? Est-ce facile à gérer ? Faut-il le placer dans une école spécialisée ? Quelles seront ses réactions aux contacts des autres ? Les questions étaient nombreuses et il n'y avait malheureusement pas de réponses toutes prêtes. Son institutrice de l'époque avait également alerté ses parents quant à ses capacités intellectuelles hors normes comparées à celles des autres enfants du même âge. Il savait déjà lire et compter quand certains avaient encore du mal à distinguer des formes géométriques. Si le terme précoce ne signifiait pas grand-chose pour lui, il n'avait pas mis longtemps à intégrer qu'il était plus vif et plus réactif que ses petits camarades. Et lorsqu'un enfant prend conscience de ses capacités à l'école primaire, il ne fait pas naturellement preuve de tolérance. On dit bien souvent que c'est une vertu qui ne s'apprend pas dans les manuels scolaires. Ainsi, lorsque ses voisins de classe ne le comprenaient pas ou avaient du mal à intégrer les leçons, il avait la fâcheuse tendance à les prendre de haut et à se moquer. Un comportement blessant qui l'avait inévitablement isolé. Mais là encore, comment faire comprendre à un enfant que les êtres humains ne réfléchissent pas tous de la même manière ? Paradoxalement, alors qu'il intégrait pratiquement tout ce qu'il entendait, Tom n'acceptait pas l'idée que ses camarades puissent avoir des difficultés d'apprentissage ou de compréhension. Il s'ennuyait en leur compagnie et ne semblait pas être capable de trouver une solution. Aux prémices de l'école primaire, il était très bon élève et participait beaucoup en classe. Certains de ses camarades faisaient des blagues à ce sujet mais Tom ne les comprenait pas, il prenait tout au premier degré. Il n'en avait pas fallu beaucoup plus pour qu'il se convainque tout bonnement d'arrêter de travailler. Car même s'il avait du mal à s'épanouir en communauté, il ressentait à cette époque le besoin de se faire des amis, d'être comme tout le monde. Frustré par le manque d'échange qu'il avait avec ses camarades, il s'était dit qu'en forçant le trait et en faisant tout pour leur ressembler, il parviendrait à être moins exigeant et à avoir les mêmes loisirs que les autres. Il connaissait la plupart des faits et règles qu'on essayait de lui enseigner mais s'empêchait de répondre aux interrogations de son instituteur et glissait exprès des erreurs dans ses dictées et autres tests de calcul. Alors qu'il aurait dû être en capacité de sauter une classe, le corps enseignant menaçait régulièrement ses parents de le faire redoubler. Ces derniers ne comprenaient pas comment leur fils, curieux et très instruit, pouvait à ce point être en échec scolaire.

 

Mais un enfant précoce réagit plus vite que les autres lorsque les choses vont mal. Voyant que sa technique pour apprécier davantage ses camarades ne fonctionnait pas, il avait de lui-même changé son fusil d'épaule pour adopter une autre stratégie. La menace du redoublement et les punitions répétées de ses parents avaient eu raison de sa volonté d'intégration. À 10 ans, il avait pleinement pris conscience de son potentiel et de l'importance de sa réussite scolaire. Répondre à toutes les questions, terminer les contrôles avant tout le monde et n'avoir aucune difficulté à boucler ses devoirs ne devaient pas déclencher la jalousie des autres. Et tant pis si ses facilités l'éloignaient encore un peu plus des autres. La situation d'isolement s'était donc naturellement intensifiée, d'autant que ses camarades, malgré de nombreuses tentatives de rapprochement, lui prêtaient de moins en moins d'attention. Certains s'étaient énervés de cette situation et voulaient lui prouver qu'il n'y avait aucune raison de ne pas leur faire confiance et de ne pas participer aux nombreuses activités extrascolaires. Mais Tom n'y arrivait pas, il aurait voulu rencontrer quelqu'un comme lui, un enfant de son âge ayant les mêmes centres d'intérêt et la même capacité de réflexion.  Alors qu'à l'école primaire, la situation s'était envenimée avec un ou deux autres élèves, Tom avait pris la résolution d'adopter un comportement de loup solitaire dès son entrée au collège. Les autres ne l'intéressaient pas, c'était un fait gravé dans le marbre. Il restait seul, parlait peu en cours et passait ses pauses à lire, dessiner ou écrire. Il pouvait parfois s'émouvoir de cette solitude mais savait, au vu des différentes périodes traversées, qu'il ne pouvait en être autrement. Jusqu'au jour où un nouvel élève intégra sa classe.

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