Vous vous coucherez moins bête

Vous vous coucherez moins bête

POURQUOI ON APPLAUDIT ?

Vous êtes aux pieds du chanteur, qui s’époumone tandis que son groupe, derrière, assène l’ultime riff, l’ultime coup de cymbale, l’ultime ligne de basse, et s’apprête à débrancher les claviers. Et puis ça y est, c’est fini, déjà. Certains hurlent, d’autres boivent, d’autres encore se dirigent vers la sortie sans se retourner. Mais tous, tous, applaudissent. La paume frappe l’autre, le bruit est assourdissant. A la fin d’une pièce, d’un concert, d’une avant première ou d’un anniversaire, on applaudit. C’est ainsi. Mais pourquoi ? Personne ne se pose réellement la question, en fait. Sauf nous.

“Un applaudissement est le battement des mains (plus ou moins rapide, plus ou moins vigoureux et sonore), généralement paume contre paume, d'un individu, d'un groupe ou de toute une foule pour exprimer son approbation, son admiration ou son enthousiasme”. Voici ce qu’en dit Wikipédia. Une introduction somme toute utile histoire de se mettre bien d’accord : il existe différentes formes d’applaudissements. Certains tapent leurs doigts contre la paume, d’autres paume contre paume. Plus rarement, certains tapent doigts contre doigts. C’est bizarre, c’est souvent les grands mères, mais c’est ainsi. Et Wikipédia d’ajouter : “Les applaudissements peuvent être accompagnés de « bravos », proférés très énergiquement, voire criés. Quand l'enthousiasme du public est particulièrement vif, on dit par exemple de l'intervenant à la tribune qu'il déclenche un tonnerre d'applaudissements”. Vous savez tout. Ou presque. Comment, exactement, cette action est-elle devenue une norme ? Et surtout, pourquoi ? Pourquoi taper des mains, et pas des pieds ? On peut imaginer quantité d’autres possibilités : se frapper le torse, crier “hi han hi han”, faire des bruits de prouts en plaçant sa main sous les aisselles, ou tout simplement, crier “c’était génial, vraiment, super, bravo, une autre, merci, ça fait du bien”, ou tout simplement, plonger la salle dans un silence de mort. Ce pourrait être cela, saluer une performance : rester muet devant tant de beauté et de prestance. Mais non, les choses ne sont pas ainsi. On applaudit. Un geste symbolique, et millénaire. Nos ancêtres, dans leur caverne, pour se remercier et se féliciter, se prenaient dans les bras, avant de, pourquoi pas, se gratifier d’une virile tape dans le dos. Nous le faisons encore, tout comme nos cousins les primates. L’applaudissement serait donc tout simplement l’équivalent, à distance, d’une tape dans le dos. Un comportement inné donc. Mentionné dans la Bible (vraiment, ça ne date pas d’hier), et qui deviendra un réel outil d’unification durant l’Antiquité.

Le théâtre était, à l’époque, une obligation. Chaque citoyen s’y rendait, pour se cultiver, sociabiliser, se montrer, ou tout simplement parce que c’était la chose à faire. A la fin de chaque pièce, l’acteur principal se tourne vers la foule, et prononce ces mots : "Valete et plaudite", soit "Portez-vous bien et applaudissez". Au VIIème siècle, l’Empire Romain est sur le déclin. Héraclius Ier (en latin Flavius Heraclius), en grec Ηράκλειος (Hérakleios) - cela pourrait vous servir lors d’un dîner entre amis, pour épater la galerie, tout simplement, mais on le concède, ce ne sera pas simple à placer dans la conversation -, est empereur romain d'Orient (sorte de Big Boss final de l’époque), fondateur de la dynastie des Héraclides, mais aussi et surtout un mec qui a de la suite dans les idées. Dans le but d’impressionner, et ultimement, d’exploser un roi barbare accompagné de son armée, il réalise que la sienne, d’armée, est faible, physiquement autant que mentalement, et n’a plus l’éclat d’antan. Pas grave, il embauche du monde. Des hommes qui ne doivent pas combattre, mais juste… Applaudir. Tonnerre, grondement de la nature… Ce bruit, assourdissant, puissant, avait pour but de foutre la pétoche à l’opposant. Héraclius savourera malgré tout sa défaite, mais là où il est, il se réjouit sans doute de voir son idée saluée ici. Ou pas.

L'applaudissement est donc un signe de pouvoir théâtral autant que politique, et les deux sont étroitement liés. Très rapidement, justement, l’action d’applaudir devient une action politique. Lorsque l'Empire a remplacé la République, les politiciens se sont tournés vers ces “applause” comme disent les anglo-saxons pour mesurer leur popularité. Si le peuple applaudit à tout rompre, alors la mesure est bien accueillie. Une évidence aujourd’hui, mais une nouvelle grille de lecture à l’époque. Mais cela ne répond que partiellement à la question : pourquoi applaudissons-nous ? Si le geste est expliqué, la raison pour laquelle nous le faisons, elle, a été l’objet d’études très sérieuses. En 2013, une équipe de mathématiciens et de biologistes suédois et allemands ont alliés leur force afin de répondre à cette question. Et là, stupeur, tremblement : on n’applaudit pas parce que le concert est bon, mais tout simplement parce que les autres applaudissent. Vous êtes et nous sommes des moutons, désolé. Cette recherche publiée dans la revue scientifique mensuelle Journal of the Royal Society Interface fait partie d’une étude plus large sur les comportements viraux. Et la conclusion est la suivante : applaudir est similaire à un virus, un geste simple qui se répand dans une audience de façon presque infectieuse. Vous avez un rhume, vous toussez, tout le monde demain toussera. Le site Slate est revenu en détail sur l’affaire : “lorsque les scientifiques ont reporté sur un graphique le moment où le public commençait à applaudir et le moment où il s’arrêtait, ils ont abouti à une courbe sigmoïdale: soit, en forme de «S». Exactement comme les personnes infectées par un virus, qui ensuite retrouvent leur état normal (...) Les auditeurs étaient davantage influencés par le «clap-clap» général de la salle. Ils se fondaient en fait sur celui-ci pour décider quand commencer à applaudir, et quand s’arrêter. Et il ne faut pas négliger non plus la petite part de personnes qui n’aime tout simplement pas applaudir longtemps”. Bref, nous imitons le comportement environnant.

Impossible d’imaginer un concert, ou une pièce, sans applaudissement. Gênant. Malaisant. Horrible. Et pourtant, cela arrive. Certains usent et abusent donc d’artifices afin de masquer ce silence de mort. L’empereur Néron, né le 15 décembre 37 à Antium et mort le 9 juin 68 à Rome, cinquième et dernier empereur romain de la dynastie julio-claudienne, quand il se produisait sur scène, engageait certains de ses soldats afin d’applaudir coûte que coûte. Par peur du bide, et donc d’une perte d’influence et de puissance. Des années plus tard, au XVIème siècle, le poète Jean Daurat achète un certain nombre de tickets pour sa prestation, avant de les offrir aux passants en échange de l’assurance de leur enthousiasme (les ancêtres des claqueurs dont nous vous parlons quelques lignes plus bas)). Plus proche de nous, les rires et applaudissements enregistrés de Friends et Seinfeld ne sont rien d’autre qu’une variante de ce concept millénaire.

Durant un concert de musique classique, le sujet est pour le moins épineux. Applaudir ou non ? Les salles prônent le silence, allant même jusqu’à distribuer des bonbons à la menthe afin de soulager les toux. Durant la période baroque, chacun y allait de son cri et de son clappement de mains quand il le souhaitait. Problème : un évident souci de rythme pour l’orchestre et son chef. Comme on nous l’explique très bien chez France Musique : “Au XIXe siècle, émerge la musique romantique. Les compositeurs ne cherchent plus, comme leurs prédécesseurs, à divertir la foule, mais à l’émouvoir. Les compositeurs romantiques pensent leurs oeuvres comme une seule pièce. Mendelssohn, par exemple, souhaite que sa 3e symphonie soit jouée sans pause pour qu’il n’y ait pas les “longues interruptions habituelles”. Celles-là même où le public de Mozart applaudissait et criait pour saluer l’orchestre et le compositeur. Ces nouvelles manières d’écrire et d’écouter la musique apportent un peu de confusion aux concerts”. Résultat : des claqueurs sont embauchés. S’ils n’applaudissent pas, vous non plus. Ils sont vos guides. Et aujourd’hui ? Le comportement à adopter est connu, tout du moins des habitués, les claqueurs ont disparu, mais il y a fort à parier que vous serez tenté d’applaudir avant la fin lors de votre premier concert de musique classique. Mais souvenez-vous : on applaudit parce que les autres le font. Aucun risque donc de vous couvrir de honte.

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