POURQUOI LE CLUB DES 27 ?

Nous sommes le 19 juin 2016. L’acteur Anton Yelchin, d’origine russe, qui a commencé sa carrière en 2001, a bossé avec de grands noms comme Jim Jarmusch (Only Lovers Left Alive) ou Jodie Foster (Le Complexe du castor), a fait sensation dans les films Alpha Dogs (sorti en 2006), Like Crazy (2011) ou plus récemment dans Green Room, et s’est fait un nom auprès du grand public son rôle de Pavel Chekhov dans les reboots de la franchise Star Trek, décède. Il avait seulement 27 ans.

C’est par un communiqué de son agent que la nouvelle tombe : «L’acteur Anton Yelchin a été tué dans une collision fatale sur la route tôt ce matin. Sa famille demande à ce que l’on respecte leur vie privée.» Les faits sont les suivants : il est sorti de sa voiture, lui a tourné le dos, et elle a roulé dans la pente de sa propriété, pour finalement le coincer contre le pilier d’une boîte aux lettres. Flashback. Des décennies plus tôt. Le 3 Juillet 1969. Brian Jones, fondateur des Rolling Stones (dont il a été viré peu de temps auparavant), est retrouvé mort au fond de sa piscine par une amie qu'il avait invité. Sa mort devient alors source de rumeur. Certains iront jusqu'à parler de meurtre, sans que cela ne soit jamais confirmé (le jardinier fut un temps suspecté). Le médecin appelé sur les lieux du drame prononce alors la mort, le rapport d'autopsie conclut à un accident. Il sera enterré 7 jours plus tard, il n'avait que 27 ans. La nouvelle attriste, choque. Et le célèbre Club des 27 pose là la première pierre à son triste édifice. Presque 50 ans plus tard, Avec le décès de Yelchin, il est de nouveau dans l’actualité.

27 ans comme l’âge de Kurt Cobain au moment de son suicide. 27 ans comme l’âge d’Alan Wilson, le chanteur de Canned Heat, qui meurt d’une overdose le 3 septembre 1970, . 27 ans comme Jimi Hendrix, qui meurt étouffé dans son vomi suite à un mélange d’alcool et de médicaments, le 18 septembre de la même année. 27 ans comme Janis Joplin, overdose également, qui décède quelques semaines après Jimi, le 4 octobre. 27 ans comme Brian Jones donc. 27 ans enfin comme Amy Winehouse, le peintre Jean- Michel Basquiat (non, ce club n’est pas réservé aux musiciens, même s’ils sont majoritaires), le bluesman américain Robert Johnson (mort en 1938, bien avant Jones donc), mais aussi Kristen Plaff, bassiste du groupe Hole, Mia Zapata des Gits, le rappeur américain Yung Hott, abattu alors qu’il tournait un clip à Atlanta, ou Denis Wielemans, le batteur des belges Girls in Hawaii, disparu dans un accident de voiture... 27 ans, tous. La liste est bien plus longue, et possède même son référencement sur Wikipédia. De quoi intriguer, et entretenir une légende, très largement commentée. En 2009, les journalistes Eric Segalstad et Josh Hunter consacrèrent un ouvrage au « club des 27 », The 27s : The Greatest Myth of Rock and Roll. Le Club des 27, c’est celui, très fermé, des stars décédées trop jeunes, et pas vraiment dans leur sommeil.

Mais depuis quand exactement parle-t-on de “Club” ? Pour Charles R. Cross, biographe de Kurt Cobain et de Jimi Hendrix, “ce n'est qu'à partir du suicide de Cobain que l'idée du

club des 27 s'est imposée dans l'inconscient collectif”. A l’époque, la mère du chanteur de Nirvana, qui a déclaré à l’époque à un journal local : “Maintenant il est parti, il a rejoint ce stupide club. Je lui avais dit de ne pas rejoindre ce club”. Jean-Marie Pottier, éminent journaliste musical sur Slate.fr, confirme que c’est bel et bien en 1994, après le suicide de Cobain, que les journalistes s’emparent de cette histoire. Et ajoute que “les [explications les] plus fumeuses, et donc les plus amusantes, attribuent cette surmortalité supposée aux cycles des planètes (la Lune et Saturne mettent 27 à 29 ans à revenir à une même position zodiacale) ou bien à la numérologie de la musique classique: Mozart composa 27 concertos avant de mourir, tandis que Beethoven, Dvorak, Bruckner et Schubert s’arrêtèrent tous à neuf symphonies”. Mouais. Bof. Une autre théorie ? Oui. Plein.

En 2011, une très sérieuse étude du British Medicine Journal s’est penché sur la question. Le résultat est sans appel : “alors que la notoriété peut augmenter le risque de décès pour les musiciens, probablement en raison de leur mode de vie rock’n’roll, ce risque n'est pas limité à l'âge de 27 ans”. Pour mettre à mal la théorie du Club des 27, les auteurs ont comparé la mortalité de musiciens célèbres à celle de la population britannique. Ils prirent en compte 1046 musiciens (artistes solo ou membres de groupes) qui eurent un album numéro un dans les charts britanniques entre 1956 et 2007. Pendant cette période, 71 (7%) des musiciens sont morts. L'échantillon comprenait des crooners, des stars de death metal, des rock stars et même des membres de la troupe des Muppets (les acteurs, pas les marionnettes, rassurez-vous, Kermit va bien). Sauf que 27 ans, au final, cela ne signifie rien. Certes, les rock stars meurent jeunes, entre 20 et 30 ans, mais pas davantage à 27 ans. Plus intéressant encore : la mort jeune et rock n’a plus le vent en poupe dans les années 80 (après le pic désastreux des années 70, avec Morrison, Joplin, Hendrix...). Les auteurs pensent que cela pourrait être dû à de meilleurs traitements contre l'overdose d'héroïne. Mais ils pensent surtout, en conclusion, que le club des 27 n’existe pas, qu’il ne s’agit que d’une vue de l’esprit. Ce que confirme le site The Conversation. Qui va encore plus loin.

Selon eux, le seul club existant est celui des 56. Et oui ! Et pour confirmer ces dires, voici une petite liste de musiciens décédés à cet âge : Eddie Rabbitt, Tammy Wynette, Mimi Farina, Johnny Ramone, Chris LeDoux, Vandy “Smokey” Hampton, and Charles “Baby” Tate. Vous ne les connaissez pas ? C’est justement de là que vient la méprise. S’il n’existe, statistiquement, pas davantage de musiciens, ni même de personnes connues, qui décèdent à l’âge de 27 ans, il est vrai que la liste des noms est impressionnante, et que ces personnalités sont toutes talentueuses, mondialement connues, stars. Bien plus de musiciens sont morts à l’âge de 56 ans. Seul souci : le plus connu d’entre eux est Johnny Ramone, guitariste, compositeur, et fondateur du groupe culte les Ramones. Célèbre, mais moins que Kurt Cobain donc.

Le journaliste Jean-Marie Pottier, sur le site Slate, résume l’affaire ainsi : “quelles morts nous ont marqué depuis dix ans? On citera spontanément de mémoire, et à titre personnel, George Harrison et Joe Strummer en début de décennie, Elliott Smith, Arthur

Lee, Syd Barrett et Grant McLennan au milieu, Jacno, Alain Bashung, Alex Chilton, Mark Linkous, Vic Chesnutt et, last but not least, Michael Jackson, pour la fin. Une liste sans grande cohérence en apparence, avec ses superstars mondiales et ses indés cabossés. Un cadavre exquis d'exquis cadavres regroupant, hormis Smith, des musiciens disparus de 45 à 61 ans, âge «avancé» mais encore nettement inférieur à l'espérance de vie du citoyen moyen”. Le hasard et la mémoire collective ont créé de toutes pièces un monument rock, pop, et bien plus encore. Ce club est une icône à part entière qui nous intrigue, nous fascine, nous effraie, et nous rassure en même temps. Nous ne sommes pas des rock stars, et nous aimerions l’être. Parfois. Nous aimerions toucher du doigt l’éternité, mais vivre longtemps, mourir paisiblement. Ce club, nul ne souhaite en faire partie. Les élus seront pourtant nos idoles à jamais.