POURQUOI LA BD EST-ELLE DÉSIGNÉE COMME LE "NEUVIÈME ART" ?

Vous êtes un passionné, c’est le cas de le dire. Un passionné de tout en plus. Musique, cinéma, livres… Vous passez vos soirées dans les salles de concerts, vos weekends dans les salles obscures, et vos trajets en métro sont consacrés à la consommation intensive de livres. Bref, vous avez soif de culture. De toutes les cultures, de tous les Arts, puisque vous ne dites pas non à une soirée théâtre, à un atelier sculpture, ou à une exposition rétrospective sur les plus grands peintres Russes aveugles des années 1730. Mais en réalité, ce que vous aimez le plus, ce sont les bandes dessinées. Ou les comics, comme on les nomme aux Etats-Unis, et manga, comme on les appelle au Japon. Vous aimez les dessins, les bulles, l’action qui se dessine sous vos yeux. Vous aimez Tintin, vous aimez Superman, vous aimez Dragon Ball… Vous aimez la bande dessinée. Le Neuvième Art. Tiens, mais pourquoi ce chiffre ? Et pourquoi la BD, comme on l’appelle communément, ne serait-elle pas le tout premier des Arts ? Qui a décidé de cela ?

Pas de panique, on vous explique tout.

Tout d’abord, voici le classement officiel :

1er art : l’architecture

2e art : la sculpture

3e art : les « arts visuels », qui regroupent la peinture et le dessin

4e art : la musique

5e art : la littérature, qui regroupe la poésie, les romans, etc...

6e art : les « arts de la scène », qui regroupent la danse, le théâtre, le mime et le cirque

7e art : le cinéma

8e art : les « arts médiatiques », qui regroupent la radio, la télévision et la photographie

9e art : la bande dessinée, le manga et le comics.

Mais d’où vient ce classement ? Et bien d’un très vieux Monsieur du nom de Georg Wilhelm Friedrich Hegel. Très vieux car il est né le 27 août de l’année 1770, à Stuttgart au Sud de l’Allemagne, et qu’il est décédé le 14 novembre 1831. Qui était-il donc ? Hegel était un philosophe. Mieux encore, il fut tout simplement l’un des inventeurs, en tout cas l’un des plus grands influenceurs de la philosophie contemporaine. Mais Hegel est aussi le créateur d’une liste. D’un classement pour être plus précis, de cinq arts. Au début du XIXe siècle, il propose ceci :

1. l’architecture ;

2. la sculpture ;

3. la peinture ;

4. la musique ;

5. la poésie.

Comment est-il parvenu à ce choix ? En retenant deux critères : l’expressivité et la matérialité. Concrètement, cela donne l’architecture en premier, car il s’agit d’un Art qui est grandement limité dans l’expression des sentiments (difficile en effet de dire « Je T’aime » avec un immeuble), tout en nécessitant énormément de matériel. Derrière suit la sculpture. Là encore, la matière est nécessaire, mais l’expression des sentiments a davantage de place que dans l’architecture. La peinture, là encore, nécessite un peu moins de matière que la sculpture, mais exprime un peu mieux les sentiments. Et ainsi de suite jusqu’à la poésie, Art ultime de l’expression romantique ne nécessitant rien de plus qu’un peu de papier et un crayon.

Cinq Arts donc, et pas un de plus. Comme le disait lui-même Hegel : “ces cinq arts forment le système déterminé et organisé des arts réels. En dehors d’eux, il existe, sans doute, encore d’autres arts, l’art des jardins, etc. Mais nous ne pourrons en parler que d’une manière occasionnelle”. Certes. Sauf que ce grand Monsieur est décédé bien avant l’invention du cinéma et de Batman.

Alors, comment est née la suite de ce classement ? Avec le temps, la Danse en arriva à occuper la sixième place. La septième place, celle du cinéma, on la doit à Ricciotto Canudo (2 janvier 1877 Gioia del Colle - 10 novembre 1923 Paris), un écrivain italien. Canudo publie le 25 octobre 1911 un essai intitulé « La Naissance d'un sixième art - Essai sur le cinématographe ». En 1920, il publie un texte intitulé « Défendons le cinématographe ! » dans la revue romaine L'epoca. Il y écrit ceci : “tous les arts, avant de devenir un commerce et une industrie, ont été à leur origine des expressions esthétiques de quelques poignées de rêveurs. Le Cinématographe a eu un sort contraire, commençant par être une industrie et un commerce. Maintenant, il doit devenir un art. On veut accélérer le moment où il le deviendra pour de bon”. C’est à lui que nous devons d’appeler le Cinéma, le Septième Art.

Mais la bande dessinée dans tout cela ?

Comme nous l’explique le site de référence Comixtrip, ce classement à la neuvième place “viendrait du tandem Maurice de Bévère (dit Morris, le dessinateur de Lucky Luke) et Pierre Vankeer, un passionné de BD qui le 17 décembre 1964, dans Spirou, vont créer une rubrique intitulée : « Neuvième art, musée de la bande dessinée ». Mais l’illustre Francis Lacassin (journaliste, éditeur, écrivain, scénariste et essayiste français, ndlr) pourrait également en revendiquer la paternité : à l’issue d’une discussion justement avec Morris qui lui proposait le formule « 8e art », le créateur (en 1962) du Club de la bande dessinée (CBD) répliqua “que le 8e art, c’était la télévision et que la BD était donc le 9e”. Et la bande dessinée de devenir le Neuvième Art. Mais attention : Morris se mettait très en colère lorsque les journalistes utilisaient cette nomination. Selon lui, elle était parfaitement ridicule, et ce bien que la paternité lui revienne en partie.

Voilà, vous savez tout.

Ou presque.

Car il existe un dixième Art : le Jeu Vidéo. En effet, et malgré quelques réticences de la part d’une poignée de spécialistes un brin obtus, en France, depuis 2006, le ministère de la Culture reconnaît le jeu vidéo comme une forme d'expression artistique à part entière, faisant donc du jeu le Dixième Art. En novembre 2012, le mondialement célèbre MoMA (le Museum of Modern Art à New York) a même décidé d'intégrer pas moins de quatorze jeux vidéo à sa collection d’œuvres d'art.

Et demain, un onzième Art ? Peut-être. Parfumerie ? Art culinaire ? Modélisme ?

Pour le moment, personne ne parvient à se mettre d’accord.