L'écrivain (Partie 2)
S'il ne savait pas vraiment comment procéder au départ, Vincent était persuadé que cette nouvelle idée allait le combler. Cet ambitieux projet semblait en effet parfait pour créer une sorte d'alchimie entre toutes les facettes de sa personnalité. Il allait enfin pouvoir effectuer un travail de recherche se rapprochant du journalisme, mettre en avant des parcours de vie et vivre une expérience forte sans que personne ne lui reproche de recueillir des informations et de travailler la nuit. Car cette fois, ce que certaines maisons d'édition considéraient comme un défaut allait bel et bien se transformer en qualité indéniable pour réussir ce nouveau défi. Un sentiment rapidement confirmé par Marcus Pearson, que Vincent avait retrouvé du côté de Londres quelques jours après l'exposition. Ce photographe franco-américain n'était pas facile à approcher en raison de son emploi du temps très chargé. Connu depuis une petite décennie pour ses portraits de travailleurs en pleine action, il s'était focalisé sur des sujets en rapport avec la pauvreté ces dernières années. Sa collaboration avec JR lors d'une exposition sauvage étalée sur plusieurs pays d'Europe de l'Est lui avait permis de définitivement changer de dimension et d'être sollicité sur de nombreux projets aussi épanouissants les uns que les autres. S'il était bien officiellement domicilié à Paris, ses différentes collaborations pouvaient l'éloigner de chez lui durant plusieurs semaines. Mais alors que certains avaient du mal à le contacter ne serait-ce que par téléphone, Vincent avait visiblement touché l'artiste en lui exposant ses intentions. Car non seulement il avait besoin de lui pour retrouver les héros de ses clichés mais il souhaitait en plus mettre sur pied une collaboration entre les deux univers. Et l'idée de ne pas simplement laisser imaginer la vie des personnes photographiées à son public mais également de détailler des pans entiers de leur existence avait beaucoup plu à Marcus. Il avait donc naturellement bouleversé son emploi du temps.
Un trajet en Eurostar plus tard et le spécialiste des mots rencontrait celui des photos, dans un grand café de la gare St Pancras. Un lieu de rendez-vous incontournable des entrepreneurs et investisseurs du monde entier, profitant bien souvent d'un intermède entre deux trajets pour prendre un café avec un homologue dans la même situation. Mais il ne s'agissait pas ici de parler de dividendes, de fonds d'investissement ou de stratégies marketing mais bien de photographie et de littérature. Arrivé en avance, Vincent avait tout préparé pour convaincre son interlocuteur du bien-fondé de son projet. Il avait profité des nuits précédentes pour mettre à l'écrit ses premières idées, tout en sachant pertinemment qu'il allait être dépendant de l'histoire et de la volonté de ses rencontres futures. Marcus n'avait que deux heures à lui consacrer mais cela devait être suffisant pour le convaincre de participer activement à cette aventure. Durant les premières minutes de leur entrevue, ils purent évoquer leurs travaux précédents, chacun écoutant les récits de l'autre avec beaucoup d'attention. Marcus avait déjà entendu parler des ouvrages de son vis-à-vis, à la grande surprise de ce dernier. La discussion sur le sujet de cette réunion arriva naturellement sur la table et Vincent avait parfaitement élaboré son speech. En vérité, il avait deux idées en tête, en fonction des disponibilités de Marcus. La première était que le photographe le renseigne sur les protagonistes de sa précédente exposition et lui laisse réutiliser ses clichés pour pouvoir illustrer ses différentes rencontres. La deuxième - celle qu'il privilégiait - consistait à vivre cette aventure à deux, à conter la vie des hommes et des femmes rencontrés à Paris plus d'un an auparavant et à effectuer une nouvelle série de photos pour montrer leur évolution. Plusieurs mois s'étaient en effet écoulés entre les rencontres et la mise en place de l'exposition.
Vincent avait un contact privilégié aux éditions du Seuil et ce dernier lui avait conseillé de se lancer dans la création d'un beau livre. S'il n'avait jamais créé de grand format, l'idée de pouvoir accoler des illustrations et des photos à ses textes lui plaisait beaucoup même s'il avait peur de ne pas pouvoir détailler assez l'histoire des personnes qu'il s'apprêtaient à rencontrer. Les idées fusaient au fur et à mesure que les minutes s'écoulaient. Mais si les intentions de Vincent plaisaient de plus en plus à son interlocuteur, ce dernier se devait de le prévenir de la difficulté de mettre ce projet global en place. Quelques obstacles se dressaient en effet devant les deux artistes. Le premier, assez évident, était que Marcus n'avait que très peu d'information sur celles et ceux qui avaient accepté de poser devant son appareil. Il se contentait bien souvent d'un prénom, d'un âge et des lieux régulièrement fréquentés par son modèle pour en faire une simple légende sous son cliché. Son livre et son exposition intitulés "Une autre vie à Paris" n'avaient pas pour but à l'époque de raconter une histoire par un texte mais bien par un regard ou une attitude. C'était pour lui ce qui faisait réellement le charme de son œuvre même s'il était désormais convaincu qu'il fallait en dire plus au vu du succès de son travail. La deuxième difficulté concernait un aspect qui intéressait beaucoup Vincent : l'évolution des différents protagonistes. Si l'écrivain souhaitait s'intéresser au passé pour comprendre la situation présente, rien ne disait qu'ils n'avaient pas changé depuis plus de douze mois. Même en fréquentant les mêmes lieux, les deux compères n'étaient pas sûrs de retrouver les héros de ces clichés. Enfin, Marcus avait déjà répondu positivement concernant l'élaboration d'autres projets et ne pouvait donc pas se rendre totalement disponible avant six mois, ce qui ne faisait qu'accentuer le problème précédemment soulevé.
Afin de répondre à cette dernière problématique, Vincent proposa de prendre les devants et de commencer les investigations dès son retour à Paris. S'ils étaient motivés à l'idée de travailler conjointement, rien n'empêchait l'écrivain de faire ses premières rencontres sans le photographe, du moment que celui-ci pouvait le rejoindre ensuite. Seulement, même s'il connaissait la ville par cœur, il savait que retrouver l'intégralité des personnes photographiées représentait un travail colossal. Il fallait donc soit sélectionner plus ou moins arbitrairement une dizaine de personnes soit tenter de les rencontrer les unes après les autres tout en déterminant un certain laps de temps avant d'abandonner les recherches. Ne connaissant pas vraiment la vie des uns et des autres, Marcus se contenta de donner à Vincent toutes les informations dont il disposait pour aider celui qu'il pouvait désormais appeler son partenaire et associé. À son retour à Paris, l'écrivain avait toutes les cartes en main pour se lancer. Avec l'intime conviction que cette aventure en duo allait changer sa vie et sa façon de penser.