DÉTENTEUR DU CODE NUCLÉAIRE
John (le prénom a été totalement inventé) est fébrile. Dans les couloirs de la Maison Blanche, il transpire à grosses gouttes. Il sait qu’il n’a pas le droit à l’erreur, qu’il est attendu, et qu’il ferait mieux d’être à l’heure et de ne surtout pas se rater, comme ce jour où il a servi au Président un café noir avec deux sucres au lieu d’un seul. Mais ce matin, l’affaire est autrement plus importante. Ce matin, John a entre les mains le biscuit. C’est le petit surnom de cette carte, grande comme une carte de crédit, qui contient les Gold Codes, c’est-à-dire les codes de l’arme nucléaire. Il doit la remettre au chef de la première puissance mondiale, et dans les quelques mètres qui le séparent de l’entrée du bureau ovale, il se souvient. Il se souvient de tout ce qui pourrait aller de travers, de tout ce qui pourrait mal se passer. Et si, là, en s’arrêtant aux toilettes, il l’oubliait sur le bord du lavabo ? Après tout, cette petite carte se perd si facilement. L’Histoire ne le sait que trop bien.
L’anecdote est peu connue, et pourtant : les présidents américains ont eu, à plusieurs reprises, la fâcheuse tendance à égarer le biscuit. Comme le président Jimmy Carter, 39e président des États-Unis, en fonction de 1977 à 1981. Un cas d’école ! Un jour, il demande à ce que son costume soit envoyé au pressing. Sauf qu’il avait oublié les codes nucléaires dans sa poche. Rien que ça. Mais Carter n’est pas le seul : chez les français, cette mésaventure est déjà arrivée : François Mitterrand qui aurait oublié les codes, le jour de son investiture, dans la poche de son costume, là encore juste avant de l’envoyer chez le teinturier. De toute évidence, les biscuits ne furent pas récupéré par des terroristes, puisque nous sommes tous encore là, mais tout de même ! J’imagine la tête du teinturier, qui la retire de la veste, s’interroge, la met de côté, avant de la rendre au garde du corps, sans jamais s’être douté de ce qu’il avait entre les mains. En 1991, Bush père a semé par inadvertance l'officier et la valise après avoir assisté à un match de tennis à Los Angeles.
C’est comme Clinton. Une immense tête en l’air. Selon le général Hugh Shelton, dans ses mémoires parues en 2010 sous le titre « Without Hesitation: The Odyssey of an American Warrior », il aurait perdu le biscuit, non pas le temps d’un trajet chez le teinturier, mais pendant plusieurs mois, sans même s’en rendre compte. On dit même que c’est arrivé en 1998, et que tout le monde s’est rendu compte de la perte de la carte le lendemain du jour où éclata le scandale Monica Lewinsky. Le lieutenant-colonel Robert Patterson, un des porteurs de la valise nucléaire, lui aurait demandé où elle était, avant de se mettre à quatre pattes dans toute la Maison Blanche, avec le Président et son staff, pour la chercher sous les canapés. Sans succès.
Ha Clinton ! John ne l’a pas connu, mais ses collègues les plus chevronnés ne manquent pas d’anecdote à son sujet. En plus du biscuit, il faut savoir que le Président américain est en permanence accompagné d’un aide de camp qui porte au poignet la valise permettant de déclencher ces codes (et donc de légèrement pourrir l’ambiance dans le monde entier).
En 1999, Clinton, quittant un sommet de l'Otan, est parti tellement vite qu’il a oublié son collègue. Le mec a été obligé de rentrer à pieds jusqu’à la Maison Blanche, avec la valise accroché avec une menotte à son poignet. Fou ? Oui, mais vrai. Cette valise, pour info, on l’appelle le football. C’est comme ça. Une chose est certaine, John, le biscuit dans la main, n’a pas le droit à l’erreur. Quand il aura la valise au poignet, quand il devra emmener la veste du Président tâchée de lait au pressing, quand il sera à ses côtés lors de ce dîner officiel... Hors de question de le lâcher des yeux. Hors de question de ne pas fouiller chaque poche avant de quitter le pressing. Sinon, bonjour l’entrée dans les livres d’histoire. Rubrique Débile. Comme Rick, la semaine dernière.
L’affaire a fait les gros titres. Un homme d’affaire était invité chez Donald Trump, dans sa résidence de Mar-a-lago. C’était à l’occasion de la visite du Premier ministre japonais, Shinzo Abe. Cet homme a voulu se vanter, et a posté sur Internet une photo aux côtés d’un homme qu’il présente comme le porteur de la fameuse mallette. Ce monsieur s’appelle Richard DeAgazio (John essaye de se souvenir, mais il ne croit pas l’avoir déjà rencontré, ce membre du club très privé de Trump), il a 72 ans, il vient de Boston, et il cru bon de poser aux côtés de Rick. Rick est le suppléant de John, l’autre porteur de mallette nucléaire. Mais John, lui, fuit les photographes. Certes, il accompagne le président partout, et est donc souvent amené à être pris en photo, mais il évite de trop se montrer. Son anonymat est un atout dans ce métier. Ou plutôt : sa célébrité serait une faiblesse, pourrait mettre sa vie en danger. Alors, Rick qui pose fièrement aux côtés de ce Richard avec la malette, avec cette légende sous la photo : “"Voilà Rick. Il porte la mallette nucléaire"... Ridicule, et dangereux. Mais pas illégal. Un journaliste du Washington Post a interviewé un expert de la diplomatie américaine. Selon lui, le porteur de la fameuse valise n’est pas tenu à la discrétion, ou en tout cas, pas à l’anonymat. Mais évidemment, il lui est formellement interdit de révéler quoi que ce soit (Richard DeAgazio l’a d’ailleurs promis, Rick ne lui a jamais rien révélé).
Mais alors là, vous vous demandez sans doute ce que contient cette mallette ? La réponse, John la connaît. Tout le monde la connaît, puisqu’elle est largement racontée dans les livres. Bill Gulley, ancien directeur du bureau militaire de la Maison-Blanche, a un jour confessé : «Il y a un livre noir qui présente le menu des options d’attaques; une liste des bunkers sécurisés où le président peut être abrité; les instructions pour mettre en œuvre la procédure d’urgence et une carte de 3 pouces sur 5 avec des codes d’identification afin que le président puisse confirmer son identité.» Le fameux biscuit. Que John ne doit surtout pas perdre.
Voilà. Vous savez tout. Et vous savez surtout à quel point il est difficile, au quotidien, comme John, d’être en charge des fameux codes nucléaires. Qui se perdent si facilement, chez le teinturier, ou sous le canapé. Que John n’a pas le droit à la gloire, peut même être mis en danger par la bêtise d’un riche homme d’affaire. Pas simple d’être cet homme.