Vous allez (forcément) vous endormir

Vous allez (forcément) vous endormir

Chat (partie2)

Contrairement à ce qu’il s’était imaginé, Alain découvrit une maisonnette parfaitement propre et rangée. Presque trop. Il grimpa sur un petit meuble posé dans l’entrée. Pas de petit pot dans lequel déverser le contenu de ses poches et les choses dont on ne sait pas quoi faire mais qu’on ne veut pas jeter. Pas de bibelots oubliés, pas de stylos, même pas un grain de poussière. Seul un trousseau de clés trônait ici. Un trousseau de clés tristes, non accompagnées de pompons, grelots, carte de supermarché ou autres babioles achetées dans un magasin de souvenirs à Rome ou Prague. Pourquoi s’encombrer ? Déçu par ce qu’il avait trouvé sur ce meuble blanc qui ne décorait finalement que moyennement le sas d’accueil de la maisonnette, Alain sauta et continua son exploration. Il culpabilisait presque de marcher sur le carrelage blanc immaculé qui servait de sol au salon. Pas très grande, prolongée d’une petite cuisine ouverte, la pièce était à l’image du meuble de l’entrée : propre et vide. Un grand canapé en cuir blanc regardait une petite télé installée sur un immense meuble laqué blanc lui aussi. Seul objet de déco, un vase argenté de la forme d’un morceau de bambou avait été installé à droite de la télé. Il était étincelant de propreté, et vide. Entre le meuble laqué et le canapé, une petite table basse en verre empruntait la seule fonction de pose-télécommande. Telle une grosse tâche sur une toile neuve, un Picsou magazine s’était glissé sous la vitre. Etrange. Sa présence ici n’avait absolument aucun sens.

Une grande porte fenêtre donnait sur un petit jardin bien caché à l’arrière de la maison. Le contraste entre l’intérieur et l’extérieur était presque choquant. Complètement abandonnée, la pelouse ne ressemblait plus qu’à un large sentier battu de mauvaises herbes. Si l’on pouvait distinguer une tentative surement lointaine de mettre en place un jardin potager, il ne faisait aucun doute que celui-ci était incapable de laisser pousser quoi que ce soit. On imaginait mal de jolies tomates sortir de la terre impure et bardée de mousse qui recouvrait le sol entouré de ses quatre planches en bois. Sans elles, impossible de deviner que des fruits et légumes avaient un jour été plantés ici. Au fond, une cabane en bois avait créé ses propres ouvertures en perdant quelques-unes des planches qui constituaient ses murs. A l’intérieur, un grand râteau, un arrosoir et une paire de rollers attendaient sagement un sursaut de vie. La personnalité de l’homme qui avait accueilli Alain se dessinait petit à petit, sans aucune cohérence. Avait-il atterri chez un fou ? Un psychopathe ? Ou juste un homme seul, perdu, qui ne savait plus du tout où placer le curseur de sa vie ? Parce qu’il n’était qu’un chat, Alain ne se posait pas vraiment ces questions là. L’odeur qui se dégageait de la cuisine ne le coupa ainsi dans aucune réflexion existentielle mais détourna son regard de la fenêtre.

Il entra dans la pièce en grimpant sur le bar qui le séparait du salon. Ici aussi, tout était blanc et propre. Rien ne trainait, pas de sel ni de poivre sur le plan de travail, pas de machine à café, pas de torchon, pas de dessous de plat, rien. Il y avait juste un micro-ondes, dans lequel un plat était en train de se réchauffer. Dans cette maison blanche, tout semblait mort. Son propriétaire entra avec un nouveau baluchon sur le dos. Il le déposa à côté du premier, sur les marches  d’un petit escalier situé à droite de l’entrée qu’Alain n’avait pas encore eu le temps d’explorer. Avant de continuer à vider son coffre, l’homme se dirigea vers son frigo pour trouver de quoi se désaltérer. Alain profita de ce moment de grande soif pour observer ce qui se trouvait à l’intérieur. Dans la porte, les bouteilles d’eau gazeuse et d’eau plate cohabitaient en nombre. Pour le reste, les classiques moutarde, ketchup, cornichons, beurre étaient absents. Un constat étonnant, justifié par la dizaine de plats préparés qui s’entassaient dans le rectangle blanc. Visiblement, le nouveau coloc d’Alain n’avait pas grand talent pour la cuisine, ou ne se donnait absolument pas la peine ni le temps de l’exploiter. L’homme pris une bouteille d’eau plate, ferma le frigo, caressa furtivement le haut de la tête du chat roux et reparti à son labeur. Alain, quant à lui, avait posé son attention sur une photo, la seule de la maison, qu’un aimant noir faisait tenir sur la porte du frigo. L’homme y apparaissait avec un grand sourire blanc et sincère. Ses cheveux ne montraient alors aucune trace du blanc qui inondait désormais les hirsutes poils qui entouraient ses oreilles, il semblait plus mince et surtout apaisé. A ses côtés, le tenant par l’épaule, un autre homme tout aussi enthousiaste montrait ses dents à l’objectif. Derrière eux, Manhattan était éclairé par un magnifique coucher de soleil. Comment l’homme qui paraissait si heureux sur la photo pouvait sembler aussi triste et seul aujourd’hui ? Intrigué, Alain sauta sur l’image, la fit tomber avec l’aimant et se fit peur tout seul. Il parti en trombe de la cuisine, alertant celui qui continuait de vider les sacs de son coffre. L’hôte se précipita vers son coffre à plats préparés pour vérifier s’il n’y avait pas eu de casse. Il râla un grand coup (de la même façon que lors de son accrochage avec Monsieur force tranquille), ramassa la photo, puis s’apaisa. Sans la quitter du regard, il s’avança vers le canapé et s’assit doucement. Alain vint le rejoindre et s’installa à côté de lui, une patte sur sa cuisse. Il l’observait. « Tu m’as fait peur », lui dit l’homme. « C’est quoi ton prénom à toi ? T’as une bouille à t’appeler Jack. C’est classe Jack, non ? Jack Nicholson, Jack Kerouac, Jack Bauer… ». Alain ne comprenait rien mais se laissait bercer par la voix radoucie de son hôte. « Moi c’est Will. C’est pas très original, hein, je te l’accorde. Mais j’aime bien Will Smith ! T’aimes bien Will Smith, toi ?” Sans réponse de son invité, Will soupira et s’adressa à lui-même tout bas : « t’es en train de parler à un chat, tu deviens complètement fou Willy ». Il posa de nouveau son regard sur la seule photo qui apportait un soupçon de vie à la maisonnette. Il sourit tristement. Puis il se leva d’un coup, laissant la photo à l’abandon sur la table basse en verre. Alain le suivi, se souvenant de ce pourquoi il était arrivé là.

********

« Alain ? Aaaaaaaaalain ? » « Mais où est-ce qu’il se cache, qu’est-ce qu’il peut être énervant à se sauver comme ça ». Dans un appartement situé à quelques pâtés de maison de la nouvelle cachette du mini-fauve, ses colocs commençaient à s’inquiéter. Ils étaient jeunes, s’approchaient probablement de la trentaine, et vivaient dans un petit deux pièces remplis de cadres, de photos, de plantes, et d’objet en tout genre. Une grande bibliothèque recouvrait entièrement l’un des murs du salon. A l’intérieur, romans, bandes-dessinées et beaux livres d’art et de voyage côtoyaient un bazar bien organisé de souvenirs. Un chapeau de paille cachait l’un des coins du meuble, un masque africain cachait Les Confessions de Rousseau, une statuette de Batman et Robin aidait la collection entière des romans de Bret Easton Ellis à tenir debout, quelques bougies étaient éparpillés ça et là dans les étagères. Cela ne faisait aucun doute, Alain devait être franchement dépaysé dans sa nouvelle maison tout blanche et sans vie. S’il avait tendance à agacer ses maîtres au plus haut point en ruinant leur canapé déjà bien abîmé et en les réveillant à 8h du matin le week-end, Juliette et Maxime adoraient leur petit monstre. Ils l’avaient trouvé dans la rue 2 ans auparavant, seul, bébé, affamé et mal en point. Il était depuis passé de vulnérable chaton à chat intenable. S’ils le perdaient parfois de vue, les deux colocataires réussissaient toujours à le faire revenir. Tel un chien obéissant et malgré son côté rebelle, Alain s’était habitué à retrouver ses maîtres lorsque ceux-ci sifflaient une mélodie courte et familière. Aujourd’hui, ils avaient beau siffler et s’essouffler, leur chat adoré ne voulait pas se montrer. Au bout d’une heure, ils stoppèrent leurs recherches, inquiets mais conscients qu’’ils’agissait là d’une situation fréquente chez les propriétaires d’animaux de compagnie. Ils décidèrent ainsi d’attendre un peu avant de lancer l’artillerie de recherches.

********

Pendant ce temps-là, Alain continuait sa quête. Il était bien trop absorbé par sa nouvelle aventure et son envie de découvrir ce que contenaient les sacs qui l’avaient amené ici pour penser à ses colocataires…

avec

Inscrivez-vous
à la newsletter !

Nous utilisons des cookies à des fins de mesure d'audience pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à utiliser ce dernier, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.